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partie de la dette égyptienne était placée dans notre pays. Nos fonctionnaires tenaient les principaux emplois ; nos magistrats remplissaient le tribunal mixte, récemment institué. Bref, c’était un modèle de cette pénétration pacifique, si vantée de nos jours, et si fragile, quand elle n’est pas soutenue par la force. L’échec de 1840 semblait réparé.

Les Anglais se glissèrent d’abord à notre suite, et s’installèrent près de nous à la faveur de nos troubles. Ils avaient eu l’art de se faire céder par le Pacha toutes les actions qui lui appartenaient dans l’entreprise du canal. Cette négociation ne fut pas secrète. Il dépendit un instant du gouvernement français de saisir ce gage précieux. On laissa passer l’occasion. Les journaux prétendirent que rien n’était changé en Égypte : il n’y avait qu’un actionnaire de plus. Mais cet actionnaire était l’Angleterre. Bientôt elle réclama sa part dans le contrôle des finances : on la lui fît si large, que le contrôleur français, chargé de faire rentrer les recettes, n’était qu’un petit garçon auprès de son collègue anglais, investi du droit de les dépenser. Tout le solide du gouvernement passa peu à peu dans les mains de cet Anglais. Il dictait les résolutions du ministère égyptien, et mena si rondement les choses, qu’il produisit des mouvemens populaires dans ce pays d’une docilité proverbiale. Tandis que l’influence française s’était attachée à ménager le gouvernement indigène, l’Angleterre ne songeait qu’à le détruire, et la France, retombée à ses anciennes complaisances, se prêtait à la déposition du Pacha, dont l’indépendance était son œuvre[1].

Toutefois, si défectueux que fût ce protectorat à deux, il valait encore mieux pour nous que la lutte ouverte ou l’abdication volontaire. Nous étions si accoutumés aux mauvais procédés de la Grande-Bretagne qu’on s’étonnait en France qu’elle n’eût pas profité de notre faiblesse pour nous mettre franchement à la porte. On cherchait finesse à cette tolérance inusitée ; on lui prêtait les desseins les plus machiavéliques. Peut-être eût-on mieux compris son attitude si l’on avait connu l’état réel de sa flotte. C’est dans ces conjonctures qu’éclata la rébellion ridicule des trois colonels égyptiens et qu’eut lieu le bombardement d’Alexandrie. L’Angleterre nous conviait à une action commune ; notre flotte était à côté de la sienne : un télégramme ordonna à

  1. Jules Cocheris, Situation internationale de l’Égypte, Plon, 1903. Voir particulièrement le chapitre IV.