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avions parcouru les premiers ce sol ingrat, où les Anglais ne possédaient alors que de modestes enclaves. Mais, hélas ! il n’y a plus d’arbitre pour limiter les ambitions des nations chrétiennes, et la cour de La Haye elle-même y perdrait son hollandais, comme le Pape son latin. Chaque peuple ne doit compter que sur lui-même. L’Angleterre, pour avoir pris l’Égypte, ne laissait pas de réclamer sa part de l’Afrique occidentale. Ici, comme ailleurs, elle s’efforça de nous gagner de vitesse. Ce fut, pendant vingt ans, une belle course au clocher. Les officiers des deux nations s’enfonçaient à l’envi dans le continent noir et bâclaient au galop des conventions avec tous les rois nègres qu’ils rencontraient sur leur passage. Ces petits potentats ne savaient à qui entendre. Ils étaient tout surpris d’être tour à tour violentés et courtisés par ces blancs qui se bornaient autrefois à leur acheter des esclaves, de la poudre d’or et des dents d’éléphans, et dont, sans doute, les visages et les procédés leur paraissent uniformes, malgré la différence du pavillon qui les abrite.

Cette lutte se poursuivit avec des succès partagés. Mais les Anglais avaient sur nous l’avantage du commerçant sur le soldat. Leur instinct les dirigeait tout droit vers les contrées d’une exploitation facile. Ils étaient aussi mieux soutenus par leur gouvernement. C’est ainsi qu’ils enlevèrent à notre barbe les bouches du Niger, où les premiers comptoirs avaient été fondés par des Français. Vainement la compagnie française s’adressa à Paris, on ne l’écouta point. La géographie ne figure pas, chez nous, parmi les connaissances requises chez un homme d’Etat. Ce que n’ignorait pas le dernier de nos officiers d’Afrique, à savoir que le Niger coule d’abord du Nord au Sud, puis du Sud au Nord, et que, pour exploiter un fleuve, il est bon d’en tenir l’embouchure, échappait complètement à la sagesse parlementaire.

Comment ne pas admirer l’entêtement patriotique de nos explorateurs et de nos officiers, qui, recommençant la pénétration par tous les points de la côte, firent le tour complet de la Guinée anglaise, atteignirent le moyen Niger, le dépassèrent et poussèrent leurs reconnaissances jusqu’au lac Tchad ? Le petit fantassin faisait des merveilles. Il déconcertait la lenteur anglaise. Non seulement il allait vite, mais il frappait fort. A deux reprises, il abattit la puissance de ces sultans musulmans, des Samory, des Rabah, qui ravagent et dépeuplent le pays sous