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civilisation, et qu’ils emploient, pour forcer les nègres au travail, d’autres argumens que la persuasion. Cette sollicitude soudaine de l’Angleterre pour les nègres du Congo a de quoi faire frémir. On ne sait lesquels sont le plus à redouter, de ses accès de colère ou de ses accès de vertu.


VII

Si nous avions agi d’après un plan d’ensemble, le seul moyen de préparer un bon et solide arrangement, c’était de rendre aux Anglais la monnaie de leur pièce en leur suscitant, sur la côte orientale d’Afrique, les mêmes embarras qu’ils nous donnaient à l’Ouest. Sans doute, il était déjà trop tard pour reprendre l’affaire d’Égypte. Mais déjà se dévoilait peu à peu le dessein qui consiste à unir le Cap au Caire : conception forte et hardie, bien éloignée de la timidité française. Sur ce front si étendu, nous possédions encore des points d’attaque : notre position un instant prépondérante en Abyssinie, nos anciens droits sur Zanzibar, les missions catholiques fixées dans l’Ouganda, enfin la pointe extrême de notre établissement de l’Oubanghi étaient autant de têtes de pont par lesquelles nous pouvions gêner les mouvemens des Anglais. Il n’était pas question, comme au Soudan, d’occuper de vastes territoires : le plan de l’Angleterre commandait le nôtre. Le prix qu’elle attachait au maintien des communications sur une ligne aussi longue et aussi étroite rendait la manœuvre facile. De même que l’enlèvement de quelques rails intercepte la circulation sur toute une voie ferrée, le moindre obstacle placé sur sa route l’empêchait de réaliser son dessein et l’amenait nécessairement à composition. En pareil cas, la plus mince bande de territoire prend une valeur d’échange supérieure à plusieurs provinces. L’Angleterre le sentit si bien qu’elle n’épargna rien pour nous intimider.

Mais elle n’avait pas besoin d’un si grand effort ! Bien rarement, en France, les ministres et le parlement considèrent l’ensemble du monde. Leurs vues ne s’étendent même pas à un continent tout entier. On se fait gloire, chez nous, de traiter chaque affaire séparément, sans aucune relation avec les autres. Un ministre à la tribune se croit un avocat à la barre : il étale ses dossiers et déclare, aux applaudissemens de l’Assemblée, que tel ou tel procès est terminé. Personne ne semble,