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longtemps, et pour mettre un peu d’ordre dans le désordre ; mais, si l’on remuait un homme sur les frontières d’Algérie ou d’Indo-Chine, quelles clameurs dans le parlement ! On dépensait sans compter des millions pour cette vaine expédition du Touat qui égarait nos forces dans le désert ; mais la seule pensée d’affronter le mécontentement des Puissances étrangères donnait des frissons à la majorité.

Ce n’étaient donc ni les hommes ni l’argent qui manquaient à la France, puisqu’elle en trouvait pour les entreprises les plus inutiles : c’était la confiance en elle-même. Malheureusement la mort avait fauché la plupart des hommes capables de la lui rendre. La France ne bougea pas ; l’Allemagne non plus : cette Puissance était alors en pleine réorganisation maritime et ne se croyait pas de force à croiser le fer avec la Grande-Bretagne. Moins heureux que leurs ancêtres du XVIe siècle, les braves Boers furent écrasés sous le nombre. L’Angleterre souffrit dans son honneur, dans ses finances, mais elle donna un nouvel exemple de ténacité morale. Son entêtement même avait de la grandeur ; les démonstrations bruyantes sous lesquelles elle dissimulait les fautes de ses ministres, étaient encore de la sagesse politique. A force de se répéter qu’elle avait raison, elle finit par le croire. Après des victoires peu glorieuses qui lui coûtèrent autant qu’à nous nos défaites de 1870, elle n’hésita pas à faire les sacrifices nécessaires pour rétablir son prestige entamé. Au budget de 1903-1904, les dépenses prévues pour sa marine atteignaient près d’un milliard de francs, et le ministre de la Guerre demandait encore 800 millions pour la réforme de l’armée. Ainsi le budget militaire de la grande nation libérale dépassait de beaucoup ceux des Puissances continentales dont elle s’était si longtemps moquée. Le monde était bien changé, puisque l’Angleterre devait compter presque uniquement sur ses propres forces pour maintenir le paradoxe de sa suprématie. C’est alors qu’elle se prit à regarder autour d’elle et à réfléchir sur sa politique.


VIII

Du côté de l’Amérique, elle avait déjà fait la part du feu. Se sentant incapable de tenir tête en même temps aux États-Unis et à l’Europe, elle établit en principe que les États-Unis n’étaient pas à craindre. John Bull se découvrit tout à coup des