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nous sentions un air de liberté flotter autour de nous ; il nous semblait qu’un fardeau invisible ne pesait plus sur nos pensées et nos actes ; nous pouvions nous jeter dans l’infini de l’avenir à la poursuite de mirages étincelans de fraîcheur et de beauté ! » Ce sentiment des jeunes pensionnaires fut celui de l’École française quand le sceptre dictatorial tomba des mains fatiguées de Ingres, avant même sa mort. Alors commencèrent à couler librement les sources retenues : Hébert, florentin par la composition et le dessin, sans maître pour la suavité du coloris, le vigoureux Bonnat, l’élégant Gérome, le resplendissant Henner, le fantastique Moreau, si moderne dans son archaïsme, et tant d’autres.

Les paysagistes s’étaient, eux aussi, révoltés contre des traditions non moins tyranniques ; ils s’étaient affranchis de la solennité des paysages historiques de Poussin et de Claude Lorrain. Opérant sur la toile une révolution semblable à celle de J. -J. Rousseau et de Chateaubriand dans les lettres, le solitaire de Barbizon, Théodore Rousseau, avait dépouillé la nature des arrangemens de convention, l’avait étudiée, aimée, et il rendait avec une égale puissance son implacable immobilité et ses frémissantes évolutions, ses familiarités et ses grandeurs, la mare claire de la forêt et l’amplitude des horizons lointains. L’Exposition consacrait sa victoire par la médaille d’honneur : l’Homère du monde rustique, Millet, était encore dans l’ombre, luttant contre la misère. Plus heureux, Jules Breton accroissait la renommée que lui avait value sa Bénédiction des Blés.

La sculpture n’avait pas eu d’émancipation à opérer : Guillaume, Perraud, Dubois, Carpeaux, continuaient, en la rajeunissant, la tradition glorieuse des David, des Pradier, des Rude. La série des bustes de Napoléon aux divers âges de sa vie, de Guillaume, obtenait un succès général.

Les étrangers aussi, Hockert, Bischoff, Rodakowicki, Matejko, etc., faisaient bonne figure. Les œuvres qui frappèrent le plus furent, en sculpture, le Napoléon mourant de Vêla, d’une poignante émotion ; en peinture, les tableaux récompensés du Belge Leys et le carton de la Réformation de l’Allemand Kaulbach ; les tableaux de Leys se distinguent par la solidité du modelé et un art consommé de distribuer les personnages. Le carton de Kaulbach représente une cathédrale gothique, sous les voûtes de laquelle se meuvent, autour d’un robuste Luther,