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consulté sur la convenance de l’ajournement des réformes proposées le 19 janvier. Il faudrait carrément demander au pays sa décision et du même coup reprendre les armes disciplinaires conférées à l’administration par le décret de 1852. »

Le système valait ce qu’il valait, mais son succès dépendait d’une exécution rapide. Là encore le courage d’esprit manque à Routier : « Une dissolution immédiate a d’incontestables avantages, mais elle est trop utilitaire, un peu équivoque, subreptice et peureuse ; elle viole toutes les bonnes conditions du gouvernement représentatif. » — Fort bien : il ne restait donc plus qu’à renoncer à la dissolution et à laisser la Chambre arriver au terme légal de son mandat, d’autant plus que les élections prématurées sont un des traits caractéristiques de ce régime parlementaire dont on avait horreur. Mais cela était encore un parti trop décidé. Le louvoyeur reprend le dessus : on dissoudra avant l’expiration des pouvoirs de la Chambre, mais pas immédiatement ; seulement en mai prochain. Les élections « se présenteront avec de sérieuses chances de succès, quoique avec certaines difficultés et certains périls de plus. Leur succès plus chèrement acheté donnera au gouvernement une force incontestée[1]. » Singulière sagesse que celle qui consiste à opérer difficilement ce qu’on aurait pu faire facilement !

En somme, les conseils donnés à l’intérieur aboutissaient à la même conclusion que ceux de l’extérieur : attendre. Attendre n’est pas une preuve d’irrésolution quand on attend comme Bismarck pour mieux préparer le succès d’une action à laquelle on est décidé. Attendre est au contraire un signe de faiblesse quand on attend pour savoir à quoi on se décidera. Cette conduite correspondait si bien aux dispositions fatiguées et indécises de l’Empereur qu’il l’adopta. On continua à l’intérieur comme à l’extérieur à louvoyer entre le oui et le non. Où cela pouvait-il conduire en présence du ministre prussien qui poussait toujours en avant, même lorsqu’il paraissait immobile, et d’une opposition française vigoureuse, dont la haine s’accroissait de la facilité accordée de la satisfaire ? Fatalement les points noirs devaient devenir d’épais nuages et envahir tout l’horizon.


EMILE OLLIVIER.

  1. Lettres de Rouher à l’Empereur, 19 et 27 septembre 1867.