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les tempérés et languides, » que pour les « mortifier » ou seulement les « maintenir. » Plusieurs, parmi les plus spirituels et les plus vraiment français, — je ne dis pas les plus purement, — sont écrits sur des paroles qui ne s’accommoderaient pas de la monodie. Elles ont besoin de la pluralité des voix, afin de n’être point en tendues, ou de ne l’être qu’à moitié. Dans le genre du conte ou du fabliau musical, le « plus que divin Orlande » a composé quelques petits chefs-d’œuvre plus que profanes. Il a su narrer avec des notes aussi lestes, aussi gamines que les mots, l’histoire de certaine gageure tenue de compte à demi par un avocat et son petit clerc. On trouverait ici comme une première esquisse, moins sentimentale et plus grivoise, de la « Chanson de Fortunio. » Non moins française — j’allais dire parisienne — par le ton et par le tour, est une autre chanson. Il y est traité d’une dame qui dans un château « vit Hercules en marbre érigé ; » d’une observation qu’elle fit à son endroit et de la repartie qu’elle s’attira « d’un maçon âgé. » L’une et l’autre pièce est un excellent exemple de l’esprit en musique et dans cette musique en particulier. On y voit à merveille quelle vivacité, quelle gaieté sans cesse accrue et multipliée peut communiquer à un thème, déjà vif et gai par lui-même, le principe des entrées successives, des réponses ou des répliques entre-croisées, en un mot le style de la polyphonie vocale et du contrepoint.

À ce style au moins autant qu’à la mélodie elle-même, des chansons de ce genre doivent leur accent populaire. Il suffit de lire dans Costeley certaine histoire d’un usurier et d’un pauvre, pour se convaincre que la pluralité des parties ou des voix crée la pluralité des personnages ; elle donne l’impression ou l’illusion du nombre, d’un groupe, d’une foule même, et dans cette musique alors, c’est vraiment le peuple et le peuple tout entier qui parle, qui chante, qui vit.

Faut-il des chansons à boire, après des chansons à rire ? D’un bout à l’autre du siècle, elles tintent gaiement.


Ô vin en vigne, gentil,
Joli vin en vigne !


Ainsi chante Roland de Lassus, et de ce vin, en deux strophes ou couplets, qui sont d’opéra-comique, pas davantage, il ne chante qu’une pointe légère. Déjà plus haut en couleur, avec plus de goût ou de bouquet, est certain refrain de Claudin de Sermisy :