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villes et les plaines exposées aux coups du pouvoir central, obligées de subir ses exigences, doivent lui fournir les ressources militaires et fiscales, destinées à contenir la montagne inaccessible. Le double fait de payer l’impôt et d’envoyer un contingent caractérise donc le bled-el-makhzen, par opposition au bled-es-siba, qui garde ses hommes et son argent. Certaines tribus sont constamment soumises ; certaines autres vivent, au contraire, dans une perpétuelle insoumission ; il en existe bon nombre, sur les premières pentes de la montagne, qui demeurent dans une situation intermédiaire, apportent ou retiennent leur soumission, selon les circonstances ou la force du makhzen. C’est dans ces régions indécises que le sultan peut, de temps à autre, lancer quelques expéditions lucratives et exercer, grâce à son armée, une action intermittente. Développer le bled-el-makhzen jusqu’à ses limites extrêmes et réduire dans la mesure du possible le bled-es-siba, a toujours été le but de la politique makhzen, et les plus grands souverains du Maroc ont été ceux qui ont su obtenir l’impôt du plus grand nombre de tribus.

En dehors de l’impôt et du contingent, le makhzen ne peut pas avoir de grandes exigences. Il ne demande aux tribus que d’assurer, sur leur territoire, la sécurité du passage et les laisse se gouverner à leur guise ; elles n’ont pas de routes à entretenir, pas de travaux publics à exécuter ; le principe de la responsabilité collective leur garantit à elles-mêmes une police suffisamment efficace. En fait de fonctionnaires, le makhzen se borne à nommer les cadis, les gouverneurs des villes et les caïds des tribus. Comme la population des villes est plus malléable, il est souvent indifférent de leur attribuer un gouverneur quelconque ; il en est de même des tribus modestes, dont il importe peu de ménager les convenances, ou bien de celles qui viennent d’être réduites, et qu’il s’agit de maintenir sous une vigoureuse autorité. Dans la plupart des tribus de la plaine soumise, les caïds sont choisis parmi les contribules ; parfois quelque ancien mchaouri, issu de la tribu, que son séjour à la Cour a imprégné des idées makhzen ; le plus souvent de grands propriétaires, dont les familles détiennent cette dignité depuis plusieurs générations Cependant la désignation ne saurait être tout à fait arbitraire, et le makhzen doit, au préalable, s’assurer de l’assentiment de la tribu ; autrement la kasbah du nouveau caïd risquerait d’être pillée par ses administrés, puis une délégation se hâterait vers