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coupables et qu’ils reviennent, pardonne et oublie. S’ils sont coupables et entêtés, ils ne valent pas tes regrets et tu pourras en trouver de meilleurs. — 19 oct. 1851[1].


Elle écrit encore à Alexandre Dumas fils :


Cher fils, vous ne me parlez que des autres. J’espère donc que vous allez bien. Les autres ! Quel grand sujet de réflexion ! Y a-t-il réellement des autres ? Concevons-nous noire existence isolée, et le véritable égoïsme peut-il exister ? Non ! ne croyons pas cela. Quand nous paraissons égoïstes et que nous agissons en égoïstes, ce qui arrive, hélas ! trop souvent, c’est que nous suivons une fausse notion d’indépendance et de satisfaction personnelle qui nous trompe et nous égare[2]


On le voit, l’égoïsme, est un sentiment dont George Sand ne s’est jamais fait une idée très nette. De même, elle avait entendu parler de la méchanceté, et il lui était arrivé de la rencontrer ; mais elle n’y avait jamais cru tout à fait. De là cette tournure idyllique de son esprit qui la menait tout naturellement au socialisme tel qu’il florissait dans son temps. Aux doctrines des diverses écoles, elle n’a pas compris grand’chose : et cela apparaît bien à la manière dont elle les expose. Mais peu lui importait. Elle allait où l’attirait le mirage d’une humanité nouvelle où les injustices seraient réparées, les souffrances abolies, les luttes oubliées, où régnerait le bonheur universel par la réconciliation des classes. Cela seul suffit à caractériser le socialisme de George Sand et à le distinguer d’un autre que nous connaissons bien, pour le voir grandir sous nos yeux : c’est celui qui a pris pour mot d’ordre la guerre des classes. Au socialisme à base de haine qui est celui d’aujourd’hui, s’oppose, comme le jour s’oppose à la nuit, celui de George Sand : un socialisme de paix et de charité, qui n’est qu’un généreux appel à la pitié sociale.

Ce large courant de pitié qui traverse l’œuvre de George Sand, il est curieux que, pour le découvrir, nous ayons eu besoin d’y être aidés par la perspicacité de lecteurs étrangers. Dans un livre récemment paru et que nous avons signalé en son temps, un écrivain russe, Wladimir Karénine, témoignait du prodigieux retentissement qu’ont eu chez ses compatriotes les romans de George Sand, et de l’ébranlement qu’en reçurent les consciences. Pour les lecteurs du milieu du siècle, George Sand était l’écrivain unique, dont on raffolait, la première gloire poétique du monde contemporain, la source inépuisable d’où découlaient la foi dans l’humanité, l’espérance d’un avenir de progrès, de lumière et de

  1. Lettre inédite communiquée par M. S. Rocheblave.
  2. Communiquée par S. M. Rocheblave.