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y voit des soldats français, en Afrique, enfumant des Arabes dans une grotte. Le fait auquel elle se rapporte est malheureusement exact, et M. Chaumié l’a condamné avec énergie ; mais on conviendra qu’il ne devait pas trouver place dans une histoire universelle en un petit volume, et que c’était encore en exagérer singulièrement l’importance que de la consacrer par une gravure. On lit au bas la mention : « La civilisation européenne en Afrique. » Il est permis de haïr la guerre, surtout dans ses pires excès, mais résumer la civilisation européenne en Afrique dans ce triste incident et dans cette image, est-ce bien faire œuvre d’historien ? Ni M. Chaumié, ni la Chambre ne l’ont cru : celle-ci l’a montré par les manifestations les plus expressives. La réprobation, l’indignation étaient à peu près générales, et M. Lasies a pu constater que les applaudissemens recueillis par le ministre s’étaient continués de l’extrême droite à l’extrême gauche, pour « aller mourir devant le visage attristé de M. Jaurès. » En effet, M. Jaurès a éprouvé une immense tristesse. Toutefois, trop bon ministériel pour blâmer formellement un ministre, il a plaidé pour lui les circonstances atténuantes. À l’entendre, M. Chaumié s’était laissé entraîner ; il avait, sans le vouloir à coup sûr, donné une satisfaction imprévue aux adversaires de la République et contristé ses meilleurs amis ; enfin il avait groupé une majorité nouvelle, dont « l’ampleur admirable » n’était pas sans causer quelque étonnement. La majorité, en effet, a été de 468 voix contre 47, et, certes, nous ne la donnons pas comme durable ; elle ne pourrait pas servir à toute occasion ; mais il est bon qu’elle se forme quelquefois, ne fût-ce que pour une heure, autour des idées générales de morale sociale et de patrie, en dehors des passions de parti qui nous divisent. Si 468 députés se sont unis dans un même jugement et dans un même sentiment contre le manuel de M. Hervé et la propagande dont il est l’instrument, M. Jaurès, en revanche, n’a conservé autour de lui que 47 fidèles. On a vu alors à quel chiffre infime se réduit le groupe socialiste à la Chambre, lorsqu’il ne peut compter que sur sa force numérique. Il est vrai qu’en temps ordinaire il compte surtout sur la faiblesse morale des autres, et ce calcul le trompe rarement.

L’incident a eu un épilogue dans le journal l’Humanité. M. Jaurès y écrivait le lendemain un article où il assurait que « le dernier mot n’était pas dit. » Il a bien raison, d’abord parce que le dernier mot n’est jamais dit en quoi que ce soit, ensuite parce que le parti socialiste se sent des ressources qu’il n’a pas encore épuisées. M. le mi-