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nistre de l’Instruction publique a parlé avec éloge de l’esprit qui règne dans l’enseignement primaire parmi les instituteurs, et nous sommes convaincus qu’il en a parlé avec exactitude. La plupart de nos instituteurs ne font pas de politique, ou du moins ils s’efforcent de ne pas en faire et de se tenir en dehors des querelles locales ; mais souvent la politique vient les chercher sans qu’ils le veuillent. Quelquefois aussi c’est bien eux qui la cherchent et qui s’y mêlent, sachant qu’ils s’assureront par-là des appuis puissans et qu’ils feront une carrière plus rapide et plus fructueuse. Il ne sert de rien de fermer les yeux à l’évidence : le mal existe, et ceux mêmes qui le nient le connaissent fort bien. Dans le discours de M. Chaumié, nous avons remarqué et apprécié le passage suivant : « M. Grosjean a apporté à la tribune une série de citations empruntées à des revues dont M. Gautier (de Clagny) s’étonnait qu’elles pussent aller jusqu’à la porte de l’instituteur. Je voudrais bien savoir qui de nous oserait élever contre la presse, contre les journaux ou les revues, une censure préventive et dire : Vous ne serez pas introduits dans cette maison, vous ne pourrez pas parvenir jusqu’ici ? Qui de vous oserait interdire à un instituteur ou à un professeur maître de sa conscience et de ses idées de lire tel journal ou telle revue ? » Personne, certes, n’oserait le faire ouvertement et directement, et M. Chaumié, en établissant cette règle, était bien sûr de ne soulever aucune protestation ; mais la liberté des instituteurs est-elle aussi grande qu’il l’a dit ? Les moyens d’y porter atteinte sont très variés. Peut-être n’y en a-t-il qu’un seul qui ne soit pas employé : c’est celui qui consisterait tout simplement à leur interdire la lecture de tel journal ou de telle revue. Ce serait l’enfance de l’art dans sa naïveté première, et nos mœurs administratives sont plus raffinées. Sans doute, nos instituteurs lisent les journaux qu’ils veulent ; seulement on sait à l’inspection d’académie et à la préfecture quels sont les journaux qu’ils lisent. Ce renseignement figure dans leurs dossiers personnels, et il exerce sur leur carrière une influence que M. Chaumié ne niera certainement pas : il a trop de bonne foi pour cela. Quelles que soient leurs opinions véritables, nos instituteurs n’ignorent pas à quoi ils s’exposeraient en s’abonnant à tel ou à tel journal. Leur pensée intime ne leur appartient plus. S’ils tiennent à avancer, s’ils ne veulent pas tomber en disgrâce, il faut qu’ils la manifestent sous une forme qui sera agréable au gouvernement, c’est-à-dire conforme à la mode du jour. Que peut faire un homme qui le plus souvent est marié et père de famille ? Il suit le courant et il finit par s’y laisser entraîner. Or, le courant, ce n’est pas aujourd’hui M. Chaumié