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il y en a d’autres qui sont dangereux, surtout pour des enfans et de tout jeunes gens, et quelle que soit la barrière que l’on dresse à l’entrée des écoles, elle n’est pas assez haute, ni assez épaisse, pour empêcher le mauvais esprit d’entrer quand l’instituteur en est complice ? La lettre de M. Hervé à M. Jaurès nous a effrayés.

Cette lettre, qui a été suivie de plusieurs autres, a eu aussi un côté moins grave. M. Hervé ne paraît pas avoir l’humeur commode. Il a été mécontent et piqué de la défense insuffisante que les socialistes parlementaires ont faite de son manuel d’histoire. À vrai dire, ils ne l’ont pas défendu du tout. M. Hervé en a été d’autant plus indigné que M. Jaurès, dans son article, après avoir fait quelques phrases polies où il disait, par exemple, que ce livre était nécessaire, laissait clairement entendre qu’il était surtout embarrassant. Il déclarait ne pas aimer personnellement « la manière » de l’auteur, en quoi il se montrait bien dégoûté. On comprend que ses allures de plus en plus opportunistes s’accommodent mal de ce qu’il y a d’excessif, de maladroit et de brutal dans celles de M. Hervé. Depuis qu’il appartient au Bloc, ou pour parler plus exactement que le Bloc lui appartient, il comprend la nécessité de mettre une sourdine à sa voix pour qu’elle ne détonne pas trop dans le concert commun ; et alors les coups de trompette de M. Hervé, aigus et stridens, lui font l’effet d’une fausse note. Il faut plus de prudence aujourd’hui. Mais lorsque M. Jaurès, à Carmaux, montait sur une table pour chanter la Carmagnole, ou encore lorsqu’il applaudissait à tour de bras le souvenir de la Commune, ou enfin lorsqu’il écrivait à des camarades italiens que la Triple Alliance était nécessaire, tout comme le livre de M. Hervé, il se rapprochait singulièrement de la « manière » de celui-ci. A présent, il s’efforce d’être plus sage dans la forme, afin de moins effrayer le bourgeois. Mais, dans le fond, l’est-il plus que M. Hervé, ou encore que M. Sembat qui, l’autre jour, dans la discussion de la loi militaire, menaçait de mobiliser les femmes et les enfans et de les jeter sous les roues des trains militaires, si on voulait jamais envoyer nos soldats guerroyer en Extrême-Orient ? Quoi qu’il en soit, M. Hervé s’est plaint avec acrimonie d’avoir été, sinon désavoué, au moins abandonné, et, à son tour, il a déclaré à M. Jaurès que le dernier mot n’était pas dit. Pour mieux le lui prouver, après sa première lettre, il lui en a envoyé une seconde et, après la seconde, une troisième, en lui enjoignant de les publier au nom de la loi. Il est toujours piquant d’entendre les socialistes invoquer la loi, et faire appel aux huissiers, voire aux gendarmes, les uns contre les autres.