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suffit pas pour cela de nous présenter au sultan en amis et en caissiers, et de nous faire agréer comme tels. Après nous être arrangés avec lui, nous devrons imposer son autorité à tous les Erraissoulis petits et grands qui pullulent sur le sol marocain. La besogne sera lourde. Le sultan n’a jamais été à même de la remplir à lui seul, et celui d’aujourd’hui a tout l’air d’en être un peu plus incapable encore que ses prédécesseurs. Nous voilà donc obligés de suppléer à son insuffisance. Admettons qu’un incident analogue à celui de M. Perdicaris vienne à se produire, hypothèse qui n’est pas invraisemblable, il arrivera de deux choses l’une. Ou le gouvernement dont un des nationaux aura été lésé sera un de nos amis, et il nous dira : Faites-moi rendre justice. C’est à peu près ce que les États-Unis nous disent. Mais quand nous aurons pris la charge morale du gouvernement marocain, nous ne pourrons pas consentir à ce qu’il se tire d’affaire comme aujourd’hui en cédant sur tous les points. Ou le gouvernement intéressé sera un peu moins de nos amis, et il s’adressera directement au gouvernement marocain : alors surtout, nous aurons intérêt à une solution prompte et honorable. Dans un cas comme dans l’autre, si nous ne lui faisons pas rendre justice le gouvernement demandeur se la fera rendre lui-même, et que deviendra notre situation prépondérante ? Évidemment l’état de choses actuel ne peut pas durer. D’autre part, nous ne saurions procéder au Maroc avec trop de prudence, et la prudence ne va pas sans une certaine lenteur. Le problème est délicat. Qui sait si, dans l’avenir, nous ne nous rappellerons pas quelquefois la parole légèrement ironique de lord Lansdowne, qui a mis un si cordial empressement à nous abandonner des responsabilités revendiquées par nous, a-t-il dit, et dont l’Angleterre aimait mieux ne pas se charger ?

Francis Charmes.
Le Directeur-Gérant
F. Brunetière.