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Vendredi, 13 mars 1840.
« Je suis bien en retard, chère Madame et cher Olivier ; mais toujours les mêmes excuses. Les vers ont été accueillis avec beaucoup de plaisir : Mme Dudevant doit me donner une lettre pour vous la prochaine fois que je la verrai. Les Fleurs bleues l’ont charmée et elle a admiré les Vieux Chênes[1]. Elle a lu ceux-ci à M. de Lamennais, qui était chez elle lorsqu’elle les a
- ↑ Voici le texte de ces Vieux Chênes :
- L’ombre du chêne à ces landes arides
- Tient lieu de source, et d’herbe et de printemps,
- Là, de nos fronts pour détendre les rides,
- Ensemble, amis, rêvons quelques instans.
- De nos matins les plus fraîches haleines
- Semblent renaître en nos cœurs accablés.
- Chantons, amis, chantons sous les vieux chênes,
- Le souvenir des beaux jours envolés.
- Du souvenir les cloches argentines
- Font dans notre âme un murmure tremblant ;
- Sur le roc sombre ainsi les églantines,
- Filles des monts, jettent leur voile blanc.
- J’aime, la nuit, le babil des fontaines ;
- J’aime un bruit vague aux endroits désolés.
- Chantons, amis, chantons sous les vieux chênes,
- Le souvenir des beaux jours envolés.
- Songes d’azur qui, planant sur nos fêtes,
- Y répandiez comme un souffle enchanté,
- Vous avez fui, découronnant nos têtes,
- Printemps en fleur par l’orage emporté !
- Mais dans les airs, mais dans les voix lointaines,
- N’est-ce pas vous qui tout bas appelez ?
- Chantons, amis, chantons sous les vieux chênes,
- Le souvenir des beaux jours envolés.
- Autour de nous, sur la terre durcie,
- Tombent déjà, du premier froid des ans,
- Jeunesse, gloire, avenir, poésie,
- Hameaux de fruits à peine mûrissans.
- Le vent d’hiver sèmera-t-il leurs graines ?
- Nous verrons-nous en eux renouvelés ?
- Chantons, amis, chantons sous les vieux chênes,
- Le souvenir des beaux jours envolés.
- Perçant la brume où les chênes confondent,
- Vieux compagnons, leurs vieux bras fatigués,
- Des cris jaloux sourdement se répondent,
- Voix de corbeaux dans le brouillard ligués.
- L’aigle retourne à ses hauteurs sereines ;
- L’oiseau se tait dans les bois dépeuplés.
- Chantons, amis, chantons sous les vieux chênes,
- Le souvenir des beaux jours envolés.
- Nous avons pris l’aile de l’espérance
- Pour retomber à l’horizon qui fuit ;
- Nous avons eu notre part de souffrance,
- Notre nuage avant d’avoir la nuit ;
- Et, dans la lutte, aux sables des arènes,
- Nos derniers pas sont déjà nivelés.
- Chantons, amis, chantons sous les vieux chênes,
- Le souvenir des beaux jours envolés.
- Rien n’est propice à qui ne sacrifie
- Aux nouveaux dieux, ivres de l’encensoir ;
- Sous notre pied, qui déjà se défie,
- Rien ne grandit que les ombres du soir.
- Avant d’entrer dans les pâles domaines
- Du noir faucheur dont nous sommes les blés,
- Chantons, amis, chantons sous les vieux chênes,
- Le souvenir des beaux jours envolés.