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n’avez pas besoin de lui répondre, je lui ai fait Vos remercie-mens et amitiés. Ce que j’ai admiré, c’est que, durant ces trois heures de promenade printanière et sensée, elle n’a pas songé à me parler de sa pièce[1], qui se joue dans trois jours, et ne s’en est plus même souvenue : voilà un trait rare et qui compense bien des fautes d’écrivain ! Elle a vraiment tout mon cœur depuis cette reprise d’amitié.

« Nous poussons à la conciliation au sein de la Revue : voilà Duvergier de Hauranne qui y récrit ; nous attisons les cendres du Globe. Dans ces passes politiques périlleuses, c’est Rossi qui tient le gouvernail de la chronique avec grand succès (ne le nommez pas trop autour de vous). En un mot, ce n’est ici qu’alliances et rapprochemens.

« Je vous parlerai dans ma prochaine du canton de Vaud et de mes projets encore vagues de cette saison ; ces rayons renais-sans ont rallumé tout mon amour, qui ne s’était jamais refroidi, pour votre belle nature.

« A vous tous, chers amis, chère Madame. »


Vendredi, 10 avril 1840.

« Chère Madame,

« Me voilà encore négociateur, et presque officiel. M. Cousin, que j’ai vu hier à sa soirée, m’a retenu quand je sortais, et, avec une insistance qui me prouve sa résolution, malgré la foule des survenans, m’a dit (chaque phrase était coupée par une personne qu’on annonçait et qui venait saluer) : « Je suis au pied du mur, mon cher Sainte-Beuve, encore deux ou trois petites affaires et je m’occupe de celle de M… Je trouverai des difficultés en haut lieu, mais je les surmonterai. Maintenant, c’est de M. Mickiewicz qu’il faut que je sois sûr. Le prince Adam Czartoryski, probablement), de ses amis et des miens, me répond de sa prudence, de sa modération de conduite ; je sais d’ailleurs tous ses talens et ses vertus. Mais il y a ici un parti polonais : il importe que sa présence dans une chaire n’ait qu’un caractère scientifique. Qu’il soit sûr d’une chose : la seule présence de son nom sur l’affiche du Collège de France est un fait politique suffisant. Il faudrait donc que, par le choix de ses sujets d’abord, par la sévérité de sa parole, par son influence près de ses amis enfin, il remplisse

  1. Cosima.