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m’a déterminé à mettre enfin sur le papier un ouvrage dont tous les matériaux étaient depuis longtemps dans ma tête. Je me suis dit : « Vengeons la mémoire de celle qui fut mon amie ; peut-être mériterons-nous qu’une meilleure plume venge un jour la mienne. » D’ailleurs, je me fais peut-être illusion, mais je crois avoir été dans la position qui met le plus en état de remplir ce pieux office.

Longtemps assez mal avec elle, son ami dans les derniers temps, mais jamais dans la classe de ceux qui possédaient sa faveur, elle me disait beaucoup de choses, presque tout, et ne me consultait jamais. De cette manière, j’ai pu l’examiner avec soin, mais avec impartialité, parce que je n’ai eu ni à rougir, ni à me glorifier d’aucune des choses qu’elle a faites, et je puis en parler sans prévention. Aussi je me suis attaché à dire toujours la simple vérité. J’ai remarqué que le défaut ordinaire de ceux qui entreprennent la défense de quelqu’un est de toujours tout louer en lui, ou de taire ce qu’ils ne peuvent pas louer. Cette manière prévient le lecteur contre l’ouvrage et fait souvent plus de mal que de bien au client. J’ai suivi une route différente ; j’ai franchement avoué les torts de mon amie, parce que je crois que sa mémoire peut les supporter ; mais je me suis cru permis d’excuser ce qui est excusable et de jeter au moins des doutes sur ce qui ne le serait pas, si les faits étaient prouvés. J’espère obtenir par-là que le lecteur se dira : J’ai jugé un peu trop vite, et s’il le dit, j’ai gain de cause. Quant aux calomnies, je les ai attaquées de front et avec d’autant plus de force que l’impartialité dont j’ai fait profession m’en donne le droit.

Le titre que j’ai choisi me donnait celui de ne raconter que les choses nécessaires et ôte à mon ouvrage la sécheresse d’un mémoire apologétique. Si j’avais, comme j’y pensais d’abord, intitulé l’ouvrage : Vie ou bien Essai sur la vie de Marie-Antoinette, il aurait été étranglé si je n’avais uniquement parlé que d’elle, et, si j’avais aussi parlé des événemens, il aurait fallu ou l’écarter souvent de la scène et diminuer par conséquent l’intérêt que je veux au contraire concentrer sur elle, ou la présenter comme mobile de beaucoup de choses, ce qui n’aurait rien valu, on ne le lui a que trop reproché.

Le voile de l’anonyme m’était bien nécessaire. Outre que mon nom à la tête de l’ouvrage suffirait pour lui faire perdre son crédit, j’y parle trop librement pour me faire connaître.