Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 22.djvu/254

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

éloignées les unes des autres. Mais, comme je ne prétends écrire ni l’histoire générale du temps, ni même celle de Marie-Antoinette en particulier, j’espère que mes lecteurs ne me sauront pas mauvais gré de faire ces rapprochemens, sans lesquels mon ouvrage ne saurait avoir la liaison nécessaire au but que je me suis proposé.

Peu de temps après la mort de Louis XV, le duc d’Aiguillon fut exilé à sa terre d’Aiguillon (en 1775), à cent quatre-vingts lieues de Paris et il est certain que ce fut Marie-Antoinette qui fit préférer ce lieu d’exil à une autre terre appelée Véret, beaucoup moins éloignée de la capitale et dont le séjour était plus agréable au duc que celui d’Aiguillon. Quelques années après, en 1783. le roi Louis XVI ayant fait une promotion de maréchaux de France, le duc n’y fut pas compris, quoiqu’il fût plus ancien lieutenant général que plusieurs de ceux qui le furent et qu’il eût remporté la victoire de Saint-Cast[1]. Je ne crois pas avoir affaibli les charges et j’avoue que la Reine eût mieux fait de faire simplement défendre au duc de paraître à la Cour, et de ne pas s’opposer, comme il n’est que trop vraisemblable qu’elle le lit, à ce qu’il obtînt la récompense de ses services militaires. Mais faut-il conclure de là qu’elle fut méchante et implacable ? Non, sans doute, s’il y a des faits qui démentent cette assertion.

D’abord, quoique le duc préférât le séjour de Véret à celui d’Aiguillon, et que je pense bien que ce fut pour le contrarier davantage qu’on l’exila dans ce dernier endroit, il ne fut pas fort à plaindre d’être chez lui, dans le plus beau pays, sous le plus beau ciel et dans une des plus belles positions qu’il y ait en France (à l’embouchure du Lot dans la Garonne). De plus, la marquise de Chabrillan, sa fille, étant venue l’y voir, environ un an après son exil, y mourut. Aussitôt, il eut la permission d’aller, non seulement à Véret, mais à Paris et partout où bon lui semblerait, pourvu que ce ne fût pas à la Cour.

Le duc avait la place de commandant des chevau-légers de la Garde du Roi. Non seulement, il ne la perdit pas à sa disgrâce, comme le duc de Choiseul avait, à son instigation, perdu celle de colonel-général des Suisses, mais, en 1780, il en obtint, et ce fut la Heine qui y contribua le plus, la survivance pour le duc

  1. En 1738, sur les Anglais. — E. D.