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seulement soupçonné quelle pût le désirer ; mais la scène de Mlle Oliva avait achevé de renverser sa raison.

Lorsque l’affaire vint à la connaissance de la Reine, cette princesse, qui n’en connaissait pas tous les détails, mais qui savait combien les sentimens du public étaient changés à son égard, voulut qu’un jugement éclatant fît connaître la vérité. Elle eut tort, parce que, dans les affaires de ce genre, il vaut toujours mieux assoupir que divulguer ; mais elle n’écouta que sa délicatesse offensée, et ce sentiment, tout exagéré qu’il fût en cette occasion, est toujours louable en lui-même. D’ailleurs, le Roi et elle ne se décidèrent à remettre cette affaire entre les mains des magistrats qu’après avoir consulté non seulement le baron de Breteuil, qui pouvait être suspect par son inimitié connue contre le cardinal, mais aussi le garde des Sceaux de Miromesnil, et ce fut l’avis de ce dernier qu’ils suivirent. Le cardinal fut absous, mais il perdit sa place, et l’on en prend occasion d’accuser la Reine d’avoir été trop vindicative. J’ignore la part qu’elle eut à cette nouvelle disgrâce, mais je demanderai à ses ennemis quelle est la femme qui, dans cette occasion, aurait imposé silence à son honneur aussi cruellement outragé, et quel est le mari qui souffrirait auprès de lui un homme qui non seulement aurait voulu obtenir les faveurs de sa femme, mais qui se serait vanté de les avoir obtenues ?

C’est pourtant à ce peu de faits que se réduisent les preuves de la méchanceté de Marie-Antoinette. Ceux qui les produisent avec tant d’acharnement n’ont peut-être jamais réfléchi au peu d’appui que ces faits prêtent à leur système, et sûrement ils espèrent qu’on ne se souviendra pas de mille traits qui feraient d’elle l’être le plus incompréhensible qui fut jamais, s’ils n’étaient partis d’une âme vraiment bonne. Ceux qui écoutent les calomniateurs n’étaient pas présens comme moi à cette chasse où, voyant un pauvre homme blessé par un cerf, elle se précipita de sa calèche, y fit placer le blessé, le fit conduire à sa chaumière, y entra à sa suite, mêla ses larmes à celles de sa femme, de ses enfans et les consola plus par la part qu’elle prit à leur douleur que par les secours qu’elle leur prodigua. Qu’aurait pensé cette malheureuse famille que je vois encore élever les mains au ciel pour en attirer les bénédictions sur sa généreuse bienfaitrice, qu’aurait-elle pensé, dis-je, si elle avait pu prévoir que, vingt ans après (c’était le 16 octobre 1773), cette même bienfaitrice serait