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d’excellentes qualités ; je dirai les uns et les autres, tels qu’ils ont paru à mes yeux, car on pense bien que j’ai cherché à connaître le caractère d’un personnage aussi marquant, quoique le sort ne m’ait jamais placé dans sa société intime[1].

Marie-Antoinette avait l’âme tendre ; l’amitié était un besoin pour elle. Ce sentiment ne se commande pas ; elle ne l’avait ressenti ni pour son époux, dont elle connaissait bien les vertus, qu’elle estimait, qu’elle vénérait, mais qui n’avait pas ces formes sympathisantes que l’on cherche dans son ami, ni pour aucune des personnes de sa famille[2]. La princesse de Lamballe lui avait plu par la conformité de leurs âges, de leurs goûts, et surtout par cet attachement dont elle lui a depuis donné des preuves aux dépens de sa vie. Mais les ressources de cette princesse, du côté de l’esprit, étaient médiocres, et la Reine, sans cesser de l’aimer, ne tarda pas à sentir que leur amitié ne remplissait pas son cœur.

Le hasard la mit un jour à portée de causer assez longtemps avec la comtesse Jules de Polignac ; elle lui trouva un caractère à la fois doux et ferme, un jugement sain ; leurs conversations se répétèrent, la sympathie agit et elles devinrent amies intimes. Je le dis affirmativement, car je suis convaincu que le sentiment était égal entre elles, autant qu’il peut l’être entre deux caractères dont l’un est vif et l’autre posé presque jusqu’à l’indolence.

On pense bien que la comtesse Jules, telle que je viens de la dépeindre, n’avait aucune ambition personnelle. Aussi, l’amitié de la Reine pour elle n’aurait pas eu d’inconvéniens, si l’éducation de la comtesse n’avait pas été négligée du côté des grands principes ; si des circonstances qu’il serait trop long de rapporter ne lui avaient pas, dès son enfance, inspiré pour la Cour de Louis XV une aversion qui retombait sur les usages mêmes de la Cour ; enfin si elle ne s’était pas, longtemps avant sa faveur, formé une société où il ne se trouvait que trop de personnes ambitieuses et intéressées.

Le résultat naturel de la liaison qui venait de se former devait

  1. Il est très vrai que le comte de Provence ne fréquenta jamais la société des Polignac, où il était aussi peu goûté que son frère le comte d’Artois y était aimé. E. D.
  2. Je prie mes lecteurs de faire attention que je parle ici de l’année 1775 et que la solide et touchante union que l’on a vue entre les personnes de la famille royale n’a eu lieu que depuis. — Note du Roi.