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Mais ceux qui, comme moi, ont été à portée de connaître la vérité à cet égard savent très bien le contraire. Loin de le protéger, cette princesse en avait la plus mauvaise opinion ; elle fit surtout ce qu’elle put pour s’opposer à la fatale Assemblée des Notables de 1787. Mais le comte de Vergennes, dont le crédit sur l’esprit de Louis XVI était grand, soutenait M. de Calonne. Le premier de ces deux ministres mourut au mois de février 1787 ; la conduite extravagante de l’autre, pendant l’Assemblée des Notables, le fit disgracier au mois d’avril suivant[1] ; et les seize mois qui suivirent ces deux événemens furent véritablement le temps du grand crédit de la Reine.

Le premier usage qu’elle en fit fut de porter au ministère l’archevêque de Toulouse, depuis archevêque de Sens et cardinal. Ce choix était, l’expérience ne l’a que trop démontré, le plus mauvais qu’il fût possible de faire. Mais doit-on absolument condamner pour cela la mémoire de Marie-Antoinette ? Qu’on se rappelle qu’à cette époque, tout le monde s’accordait pour louer les talens de l’archevêque de Toulouse en fait d’administration. A la vérité, on ne parlait pas ainsi de sa conduite privée. Sa nomination obtint cependant l’approbation générale, et il est étrange qu’on veuille faire un crime à l’infortunée Marie-Antoinette d’un choix que chacun de ceux qui le lui reprochent aurait fait s’il se fût trouvé à sa place. D’ailleurs, outre l’opinion que le public avait de l’archevêque de Toulouse, la Reine avait un motif particulier pour l’estimer. Il est temps de le faire connaître et de parler d’un personnage dont mes lecteurs sont peut-être surpris que je ne les aie pas encore entretenus.

En 1767, lorsque le mariage de Marie-Antoinette avec le Dauphin fut arrêté, Louis XV et Marie-Thérèse résolurent de concert de placer auprès de la jeune archiduchesse un homme de confiance qui fût son instituteur. Le duc de Choiseul, qui avait peut-être inspiré cette pensée aux deux souverains, afin de s’assurer d’avance des dispositions de la future Dauphine en sa faveur et qui fut chargé de trouver le sujet, s’adressa pour cela à l’archevêque de Toulouse, avec lequel il était fort lié. Celui-ci lui indiqua l’abbé de Vermont, homme d’une naissance obscure (son frère fut dans la suite accoucheur de la Reine), mais qui lui

  1. On eût mieux fait d’attendre à la fin de l’Assemblée ; mais l’opinion publique était tellement déchaînée contre lui, que l’on put bien ne pas faire attention au danger que l’autorité royale courait en y cédant. — Note du Roi.