Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 22.djvu/462

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Délits et des peines sera appliqué aux contrevenans des deux articles précédens, etc. » Ainsi régnait sur une population tout entière une terreur qui menaçait les particuliers jusque dans l’intérieur de leurs maisons et dans l’intimité de leur vie quotidienne. Non, certes, il n’y a pas là matière à plaisanter.

Aussi n’est-ce pas assez de constater, comme le fait M. Mathiez, l’insuccès du culte décadaire. Il faut remarquer qu’on allait au Champ de-Mars, les jours de fêtes nationales, par badauderie, pour voir des défilés, des cavalcades, des costumes, des masques et des ours ; on fuyait les réunions décadaires d’où se dégageait un mortel ennui. « Combien le Directoire eût été mieux inspiré, ajoute-t-il, s’il s’était gardé de ressusciter un culte d’État, et s’il s’était borné à protéger la théophilanthropie. Elle aurait groupé la bourgeoisie des villes et peut-être l’aurait-elle empêchée de retomber (sic) au catholicisme. » Il y avait autre chose et mieux à dire. Ce que le Directoire recueillit de sa politique religieuse, ce fut le ridicule, mais c’était aussi l’odieux. Quelques esprits clairvoyans s’en aperçurent. Dès l’an VII, ils étaient obligés de constater la banqueroute du système, si pompeusement mis en scène par François (de Neufchâteau) ; et un autre François (de Nantes), désireux de repopulariser la République dénonçait le fanatisme nouveau dont « le burlesque pontificat était dans le Directoire même. » Il était trop tard. Grégoire a écrit dans son Histoire des sectes ces fortes paroles : « Quand on place les hommes entre leur conscience et les ordres de l’autorité civile, si celle-ci l’emporte, on a fait une plaie à la morale ; si la conscience triomphe, l’autorité est avilie, et, de fait, elle a été en France, à cette époque, un objet d’exécration et de mépris… » On sait ce qu’était la morale sous le Directoire ; mais, d’autre part, le régime s’était si parfaitement discrédité que tout le monde s’accordait à le condamner. Ne nous hâtons donc pas de conclure que l’entreprise systématique âprement menée par le Directoire pour imposer les cultes révolutionnaires au pays qui réclamait sa religion traditionnelle, ait été sans effet : elle a eu un résultat précis, rapide et indiscutable : elle a fait l’impopularité du Directoire et rendu sa chute inévitable.


RENE DOUMIC.