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inoubliable des tableaux de mœurs pastorales qui encadrent l’action, ni de l’attrait ou de la vigueur pathétiques de quelques-unes des figures du second plan, le sinistre Lazaro di Rojo, sa femme Candia, desséchée par la douleur comme un vieux chêne par la bise du nord, et l’adorable petite Ornella, fleur de grâce et de pureté, parfumant de sa présence le drame tout entier.

Encore n’est-ce pas seulement par l’excellence de ses qualités artistiques que le dernier drame de M. d’Annunzio diffère de ceux qui l’ont précédé. Plus simple, plus humain, et plus musical, — ou, du moins, conçu plus absolument d’un point de vue musical, — il est aussi animé d’un esprit nouveau : et du même esprit qui animait les grands drames wagnériens dont il reprend la forme poétique et les procédés. Au lieu de revendiquer les droits de la passion, ou ceux du génie, il exalte l’idéal, tout chrétien, du rachat par la souffrance et le sacrifice. Car on se tromperait à croire, d’après l’analyse du sujet, que l’héroïne, la fille de Jorio, soit simplement quelque chose comme une Tisbe ou une Marion Delorme, une courtisane à qui « l’amour a refait une virginité. » Dès avant sa venue dans la maison d’Aligi, Mila a eu horreur de ses péchés, et s’est vouée à l’expiation. « Qui donc m’a lavée de ma honte, sinon Vous, Marie ? » dit-elle à la Vierge dans une de ses prières. Jamais l’amour qu’elle ressent pour le jeune homme ne lui inspire d’autre pensée que d’être sa servante, de vivre chastement près de lui, et puis de s’immoler, maudite de lui, afin qu’il puisse goûter le bonheur dans les bras d’une autre. Bien plutôt que Tisbe, elle est Kundry, la pécheresse qui, du jour de sa rédemption, ne veut plus que « servir. » Il n’y a pas dans tout son rôle un mot ni une attitude qui n’expriment un besoin profond d’humiliation et de renoncement, jusqu’à l’admirable scène du troisième acte où, profitant de la crédulité d’Aligi, elle s’accuse de l’avoir ensorcelé, et, ainsi, le sauve à la fois du châtiment et de ses remords, mais en se condamnant elle-même à sa malédiction. Et que l’on ne croie pas, non plus, que l’excès de ce sacrifice suprême ait, pour le spectateur, rien d’invraisemblable ! Peut-être nous étonnerait-il en effet si, au début du drame, Mila nous avait été présentée comme une amoureuse, avide de tendresse et de volupté : mais, dès la première scène où nous la voyons, aussitôt nous avons l’impression que déjà la main de Dieu s’est posée sur elle, qu’elle n’est plus vraiment qu’une pénitente, et que le désir du sacrifice est l’unique forme sous laquelle l’amour pourra, désormais, s’allumer dans son cœur.

Se souvient-on qu’elle nous dit, dans la dernière scène, que « c’est