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d’ignorer entièrement la composition, — on a décidé que les dites éditions ou copies contiendraient à l’avenir le vrai texte de Bourdaloue, et l’édition qu’on nous prépare s’y conformera donc ! Ou plutôt, non ; elle ne s’y conformera pas ! Mais, de ces trois ou quatre versions d’un même texte, — et avec ce triomphant arbitraire qui caractérise les méthodes philologiques, — on en « déduira » une cinquième, qui passera désormais pour la bonne, c’est-à-dire pour la seule authentique ; et c’est alors, mais seulement alors, que la critique littéraire aura le droit d’apprécier « l’éloquence de Bourdaloue. »

Il faudra qu’on nous pardonne de n’avoir pas attendu jusque-là ! « Les éditions clandestines et les copies, nous dit M. F. Castets, donnent les sermons de Bourdaloue tels qu’ils ont été réellement prononcés, » et M. Castets peut bien le dire, mais il n’en sait rien, ni moi non plus, ni personne au monde. Avec des raisonnemens de ce genre, — car ce sont des raisonnemens, et non pas des raisons, — on en arriverait trop aisément à conclure que les sténographes d’un orateur nous rendront toujours mieux que lui, plus fidèlement, ce qu’il a voulu dire, et ce qu’en effet il a dit. En réalité, les « éditions clandestines » et les « copies » nous donnent les sermons de Bourdaloue tels que les sténographes les ont pris et compris ; et ils peuvent les avoir mal compris et mal pris. Pourquoi veut-on que nous leur fassions plus de confiance qu’au Père Bretonneau ? Si celui-ci, dans ses Préfaces, a laissé, comme nous le disions, échapper des aveux inquiétans, on montrerait sans beaucoup de peine que ces aveux n’ont pas toute la portée qu’on leur attribue. On lui en prête d’autres qu’on n’est point sûr qu’il ait faits, et notamment celui-ci que « dans les œuvres imprimées du Père Bourdaloue, de trois lignes, il y en avait une qui lui appartenait. » Cela se lit dans une lettre du président Dugas à M. de Saint-Fonds, et en voici le texte authentique : « Le Père Bourgeois m’a dit que le Père Bretonneau disait, et je crois même qu’il m’a dit l’avoir entendu de sa bouche, que de trois lignes, etc. » Mais ce président ajoutait avec infiniment de sens : « Pour nous, que nous importe qu’on ait scrupuleusement suivi le manuscrit du Père Bourdaloue, ou qu’on fait retouché ? Il nous suffit que ses Sermons, tels que nous les avons, aient enlevé tous les suffrages. » N’avait-il pas raison ? Et nous, — qui n’avons pas le manuscrit du Père Bourdaloue,