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d’ailleurs que Voltaire et les « philosophes, » au prestige de Massillon, il admire dans Bourdaloue « l’orateur chrétien le plus célèbre que la France ait vu naître ; » et il lui applique le mot souvent cité de Quintilien sur Cicéron : Ille valde in eloquentia se profecisse sciat, cui Cicero valde placebit. Nous avons déjà dit que de notre temps les Vinet et les Sainte-Beuve, les Nisard et les Weiss n’avaient non seulement rien retranché de cet éloge, mais ils y auraient plutôt ajouté, en le développant et en le précisant. De tous nos grands écrivains, s’il n’est peut-être pas, et à tort, le plus lu, Bourdaloue, en revanche, est peut-être celui don ! la réputation a subi le moins de vicissitudes. Et qu’on ne vienne pas dire, en souriant, que la raison en est tout justement qu’on le lit peu ! Car les critiques et les historiens de la littérature l’ont lu, — ce qui peut ici suffire, puisque ce n’est ici que d’eux qu’il est question ; — et ce qu’il y a de remarquable, c’est qu’aucun de ceux qui ont entrepris cette lecture, quelles que fussent ses préventions, Vinet ou Sainte-Beuve, n’en est jamais sorti que pénétré de respect et d’admiration pour Bourdaloue. Quelles sont les raisons de cette admiration ?

On a invoqué, pour en rendre compte, les allusions personnelles, plus ou moins satiriques, et les « portraits » dont ses Sermons seraient remplis. Disons-le donc une bonne fois : je ne connais point de « portraits, » au vrai sens du mot, dans les Sermons de Bourdaloue, des portraits comme on en trouve dans les Caractères ou dans les Satires ; et, pour les « allusions, » je sais bien que, dans son sermon sur la Médisance, il a parlé durement de Pascal ; il a parlé sévèrement d’Arnauld dans son sermon sur la Sévérité chrétienne ; il a pris Molière à partie dans son sermon sur l’Hypocrisie ; mais ce sont là plus et autre chose que des allusions ; et ce qu’il faut dire, dans notre langage d’aujourd’hui, c’est que Bourdaloue, toujours attentif à « l’actualité, » s’en est toujours inspiré dans la mesure qu’il a crue compatible avec la dignité de la chaire chrétienne, et avec le genre d’instruction qu’il devait aux fidèles. Ecoutons-le parler du grand Arnauld :


On est sévère, mais en même temps on porte dans le fond de l’âme une aigreur que rien ne peut adoucir ; on y conserve un poison mortel, des haines implacables, des inimitiés dont on ne revient jamais. On est sévère, mais en même temps on entretient des partis contre ceux qu’on ne croit pas favorables, on leur suscite des affaires, on les poursuit avec chaleur, on ne leur passe rien, et tout ‘ce qui vient de leur part, on le rend odieux