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par les plus fausses interprétations. On est sévère, mais en même temps on ne manque pas une occasion de déchirer le prochain, et de déclamer contre lui. La loi de Dieu nous défend d’attaquer même la réputation d’un particulier, mais, par un secret que l’Évangile ne nous a point appris, on prétend, sans se départir de l’étroite morale qu’on professe, avoir droit de s’élever contre des corps entiers, de leur imputer des sentimens, des intentions, des vues qu’ils n’ont jamais eues… de recueillir de toutes parts tout ce qu’il peut y avoir de mémoires scandaleux qui les déshonorent… On est sévère, mais en même temps on est délicat sur le point d’honneur jusqu’à l’excès ; on cherche l’éclat de l’ostentation dans les plus saintes œuvres, et l’on y affecte une singularité qui distingue ; on est possédé d’une ambition qui vise à tout, et qui n’oublie rien pour y parvenir ; on est bizarre dans ses volontés, chagrin dans ses humeurs, piquant dans ses paroles, impitoyable dans ses arrêts, impérieux dans ses ordres, emporté dans ses colères, fâcheux et importun dans toute sa conduite. [Sur la Sévérité chrétienne, Dimanches, II, 172, 173.]


Évidemment, ce n’est pas le seul Arnauld que vise ici Bourdaloue ; c’est toute la « secte » et tout le jansénisme ; et, de chacun de ces traits qui se succèdent : « bizarre dans ses volontés… chagrin dans ses humeurs… piquant dans ses paroles, » c’était l’auditoire qui faisait une application à quelqu’un du parti. Si donc l’allusion est chez lui perpétuelle, c’est bien moins en tant qu’allusion satirique, ou simplement malicieuse, qu’à titre de leçon tirée des circonstances. Il donne à ses contemporains des instructions contemporaines, qui ne sont point d’hier, mais d’aujourd’hui, et qui d’ailleurs, en un certain sens, conviennent à tous les temps, mais d’abord au leur, et à eux. Et ce genre d’allusion l’engage naturellement dans la polémique ; et, comme il a des sermons contre le jansénisme, il en a contre les protestans, il en a contre le quiétisme ; et, puisqu’il en a contre Molière, on a pu croire qu’il en avait contre Louis XIV ou contre M. de Tréville. C’est même là un des traits qui peuvent servir à le distinguer de Bossuet. Ils ne se font pas tous les deux la même idée de la prédication. Moins combatif au haut de la chaire, les instructions que donne Bossuet, plus philosophiques, si l’on ose ainsi dire, ne sont pas moins appropriées aux besoins généraux des fidèles : elles le sont beaucoup moins aux convenances et aux exigences du moment. Quelques sermons de Bourdaloue n’ont pu être prêches qu’à leur date, et pour les auditoires auxquels ils étaient destinés. Mais c’est donc aussi ce que ces auditoires en ont apprécié très particulièrement. Nous aimons que le discours qu’on nous adresse ne s’adresse qu’à nous. Et c’est une