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introduite, et à laquelle il se conforma. » C’est Voltaire qui a fait cette belle découverte que « la morale n’exigeait point de divisions ; » et, comme il suffit, en France, que Voltaire ait dit une sottise, pour que l’on se croie spirituel en la répétant, on reproche donc à l’éloquence de la chaire, en général, et à Bourdaloue, particulièrement, « l’abus des divisions. » On en cite alors une, de ces divisions, qui est devenue classique à force d’être citée. L’orateur va développer le thème de Pascal et de Calvin sur la « misère de notre condition, » et il s’exprime ainsi : « Ce n’est là que le fond de notre misère, mais prenez garde, en voici le comble, en voici l’excès, en voici le prodige, en voici l’abus, en voici la malignité, en voici l’abomination, et, si ce, terme ne suffit pas, en voici, pour m’exprimer avec le prophète, l’abomination de la désolation. Autant de points que je vous prie de bien suivre, parce qu’étant ainsi distingués, et l’un enchérissant toujours sur l’autre, c’est de quoi vous donner par degrés une idée juste de ce fonds de corruption. » Une division de ce genre semble une gageure, dit Feugère ; et il s’empresse de noter que c’est la seule de cette force que l’on trouve chez Bourdaloue. Je n’en suis pas bien sûr ! Mais ce qu’il faut plutôt voir, c’est le parti que le prédicateur en tire, et on ne sourit plus alors, mais on admire.

Le tort de Bourdaloue, si c’en est un, n’est que de marquer lui-même, et d’accentuer trop fortement ses divisions. Il a tort dans la forme, et il a raison dans le fond. « Diviser » un sujet, de controverse ou de morale, c’est l’ « analyser. » La dialectique de Bourdaloue ne s’inspire pas tant des usages de la « scolastique, » — dont il ne faut pas médire immodérément, — que de la recommandation de Descartes : « diviser les difficultés en autant de parcelles qu’il se pourra et qu’il est requis pour les mieux résoudre. » Là où d’autres que lui ne voient les choses qu’en gros, ce n’est pas sa faute, si,


Comme l’onde sous l’onde en une mer sans fond,


il aperçoit des distinctions par-delà les distinctions, et d’ailleurs, s’il se justifie, pour ainsi parler, de les avoir aperçues. Et en effet, il s’en justifie ! De la méditation approfondie d’un sujet, il excelle à tirer ce qu’on n’y croyait pas contenu. Ou encore, et si l’on le veut, il l’enrichit de la substance et de la profondeur de