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incorrections, et on les lui reprochait de son temps même, si nous en voulons croire ce témoignage de l’abbé Trublet : « J’ai toujours ouï dire, — écrivait Trublet en 1755, — que le Père Bouhours chicanait toujours le Père Bourdaloue sur la pureté de sa langue, la correction du style, et qu’il l’invitait à en prendre soin. » C’est que le Père Bouhours, à qui rien ou presque rien n’a manqué d’un « précieux, » était en retard sur son temps, ou en avance, à moins qu’on ne dise encore qu’il était né pour transmettre aux Fontenelle et aux Marivaux le galant héritage des Voiture et des Scudéri, un moment compromis par les rudes attaques de Molière et de Boileau. J’aimerais d’ailleurs qu’on voulût bien me dire une fois où l’on prend cet idéal de « pureté de langue » et de « correction de style » dont on accuse Pascal et Bossuet, Molière et Mme de Sévigné, Racine et Boileau de s’être si souvent écartés ! Le savant M. Livet, à qui nous devons l’excellent Lexique de la langue de Molière, comparée à celle des écrivains de son temps, ayant médité de rédiger un Lexique de la langue de Bossuet, fut interrompu par la mort, — et par le nombre de fautes contre « la pureté de la langue » et la « correction du style » qu’il avait cru découvrir dans les Œuvres du grand écrivain. Je m’étais souvent efforcé, mais inutilement, de lui faire entendre qu’il était dupe ou victime des grammairiens du XVIIIe siècle. Ce sont eux, en effet, qui ont décrété Molière et La Fontaine d’ « incorrection, » pour ne pas s’être conformés d’avance à de prétendues règles qu’on ne connaissait point au temps des Fables ni de l’École des femmes. Mais ces règles elles-mêmes n’ont été posées que pour justifier ou pour codifier le passage de la prose française du mode oratoire au mode narratif, et du « style parlé, » celui qui s’adressait à l’oreille, au « style écrit, » qui ne s’adresse plus qu’aux yeux. Et je veux donc bien qu’à, la rigueur on en réclame l’observation des historiens ou des romanciers, mais on ne voit pas pourquoi nous les imposerions rétrospectivement aux auteurs dramatiques et aux orateurs de la chaire. Le style de Bourdaloue, comme le style de Molière, est un « style parlé ; » et pas plus au prédicateur qu’à l’auteur dramatique on n’en saurait faire un grief, même atténué, si les comédies sont faites, avant tout, pour être jouées et les sermons pour être prononcés. Bourdaloue n’est peut-être « incorrect » ou « négligé » que de ce qu’il y a de parlé et d’oratoire dans le mouvement de son style.