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dans leurs vues : c’était précisément celle dont Talleyrand et ses amis ne manqueraient pas de mettre le nom en avant, et dont Saint-Aignan s’empresserait de publier partout le crédit européen. Déjà, le 26 octobre, Metternich lui avait témoigné « l’estime que l’empereur Alexandre avait conçue pour le duc de Vicence. » Il renouvela cette assurance : « Il me chargea de dire au duc de Vicence qu’on lui conservait les sentimens d’estime que son noble caractère a toujours inspirés, et qu’on lui remettrait volontiers les intérêts de l’Autriche et ceux de tout le monde, pour en décider suivant les principes d’équité qu’on lui connaît. » Schwarzenberg, qui survint, s’associa à ces paroles ; Nesselrode, qui s’était absenté, rentra et déclara que l’empereur Alexandre « ne changerait jamais sur l’opinion qu’il avait de sa loyauté et de son caractère, et que les choses s’arrangeraient vite, s’il était chargé de la négociation. »

Sur ce propos, on se sépara. Persuadé qu’il suffisait de prononcer les mots : limites naturelles, pour que les Parisiens, fascinés par ces mots seuls, les prissent à la lettre ; convaincu qu’ils ne demanderaient point d’autres explications et considéreraient cette indication comme une base de paix définitive, Metternich eut soin, pour ménager sa retraite au cas invraisemblable où Napoléon le prendrait au mot, d’enlever à ses communications tout caractère officiel et concerté. Il écrivit à Caulaincourt, le 10 novembre : « M. votre beau-frère retournant en France, il m’eût été impossible de ne pas le charger d’un mot pour Votre Excellence… L’Empereur m’a ordonné de causer avec M. de Saint-Aignan. Il rendra compte à Sa Majesté l’Empereur de mes paroles et de celles de M. de Nesselrode ; le hasard a mené M. l’ambassadeur d’Angleterre chez moi dans le moment où nous étions réunis. Je n’ai pas hésité de lui faire prendre part à notre entretien. M. de Saint-Aignan aura parfaitement rempli sa tâche en rapportant fidèlement nos paroles ; nous avons eu grand soin de le dispenser de toute objection ou remarque. » Cette lettre mettait les choses au point : une conversation commandée par le seul empereur d’Autriche, entre un prisonnier de guerre, Saint-Aignan, et Metternich, rejoint, — on ne dit pas en quelle qualité, visiteur ou négociateur, — par Nesselrode ; la venue, par hasard, de lord Aberdeen ; rien d’officiel ; des paroles à rapporter, qui n’engagent personne, car Metternich ne peut rien proposer au nom de la seule Autriche, ni