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l’Angleterre : « Lord Aberdeen ne sera pas surpris d’apprendre qu’après un tel flot de succès, la nation anglaise regarderait probablement avec défiance une paix qui ne confinerait pas strictement la France dans ses anciennes limites ; même à cette condition, la paix avec Napoléon ne serait jamais populaire, parce qu’on ne croirait jamais qu’il pût vouloir la maintenir… Le Cabinet est décidé à user de toute son influence pour empêcher les alliés de bâcler un arrangement qui ne présenterait pas de solides garanties… Considérez qu’enlever Anvers à la France, c’est, par-dessus tout autre objet, le plus essentiel aux intérêts britanniques. » Et quand il connut la note de Saint-Aignan : « Je ne puis pas vous cacher le malaise du gouvernement à la lecture de la minute de Saint-Aignan, et, très certainement, un pareil document, s’il est publié par l’ennemi, sans un contre-document de notre part, excitera des impressions pénibles dans ce pays[1]. »

Cependant un nouveau conseil de guerre avait été tenu à Francfort, et le plan d’opérations définitivement arrêté : occupation de la Hollande et de la Suisse, ces deux bastions, retournés désormais contre la France ; marche de la principale armée, — Schwarzenberg, — sur Langres, Blücher opérant sur la rive gauche du Rhin.


III

L’effet produit à Paris fut bien tel que l’avait prévu Metternich, et la crédulité du public dépassa même l’artifice du diplomate. Napoléon seul en perça la feinte. Il lit le 15 novembre le rapport de Saint-Aignan. Le jour même il écrit à Fouché, alors en Italie : « Vous ferez tout votre possible pour empêcher que, dans ce pays, on ne se laisse fourvoyer par les promesses fallacieuses de l’Autriche et par le langage fallacieux de Metternich. » C’est tout l’esprit de la réponse qu’il fit adresser par Maret, le 16 novembre. Sous le coup de l’expérience de Prague, qui ne justifiait que trop ses prévisions, il estima que les alliés auraient beau jeu à désavouer des insinuations verbales, rapportées par un Français sans pouvoirs et sans mission ; qu’il importait donc d’en obtenir la confirmation par écrit, ce que les alliés lui

  1. Castlereagh à Aberdeen, 7 décembre 1813.