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accorderaient aisément, s’ils étaient sincères. Il ne pensa point, — et il voyait juste, — que les paroles notées par Saint-Aignan constituassent un ultimatum à accepter ou repousser par oui ou par non ; il y vit une suggestion officieuse en vue de pourparlers à reprendre et l’indication d’une base de préliminaires à étendre ou à restreindre suivant les événemens et la guerre. Il se borna donc à annoncer purement et simplement l’envoi d’un plénipotentiaire à un congrès dont il proposa la réunion à Mannheim, et, sur le vœu des alliés, il désigna Caulaincourt, ce qui marquait un désir de conciliation.

Mais il comptait sans les machines de Metternich. Saint-Aignan était fort répandu dans Paris ; son beau-frère, Caulaincourt, davantage encore. Ils se rencontraient chez Mme de Coigny, chez Mme de Vaudémont où l’on dînait chaque semaine, où l’on se retrouvait tous les soirs avec Mme de Laval, Pasquier, Mole, avec nombre d’amis, confidens, affidés de Talleyrand, avec Dalberg, Lavalette, Vitrolles qui savait écouter et entendre[1]. « Il y eut, raconte Pasquier, des indiscrétions volontaires, calculées, et on connut bientôt dans Paris les propositions dont M. de Saint-Aignan avait été porteur. » Metternich, dans sa lettre à Caulaincourt, avait fait allusion au « secret de la paix en soixante heures. » Tout Paris fut bientôt dans ce secret-là. On sut que : « quelques heures avaient tout fait perdre, à Prague[2]. » Et quelle paix ! le Rhin, la Hollande, l’Italie ! Maintenant, après tant de désastres, Saint-Aignan apporte encore la paix tant désirée, la « paix des limites, » celle que Napoléon n’a pas su conserver après Amiens, que la France regrette toujours et que tous les politiques de salon considèrent depuis 1802 comme aussi facile à conclure qu’à garder. Personne donc ne douta ni de la sincérité des alliés, ni de l’authenticité des propositions. Saint-Aignan en avait été « formellement chargé par M. de Metternich et M. de Nesselrode, » note Pasquier. L’Angleterre « rendrait à pleines mains ! » Des bases, les bases de Francfort, ces mots sont désormais sur toutes les lèvres. Ces bases sont certaines et immuables, puisqu’elles reposent sur les limites naturelles qui sont imprescriptibles ! C’était le vœu de la nature, disaient les Jacobins ; c’est le vœu de la raison, c’est le vœu de l’Angleterre, c’est

  1. Voyez, dans la Revue des 1er et 15 avril 1902, les Mémoires de Madame de Coigny, par M. Etienne Lamy.
  2. Caulaincourt à d’Hauterive. 8 mars 1815, rétrospective.