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Je suis empêché par beaucoup de fatigue et par les devoirs officiels qui sont accumulés sur ce jour. Cette année m’a été mauvaise en finissant ; elle m’a laissé, à ce moment où l’autre année commence, dans un état de gêne et de pénurie qui va jusqu’à contrister les sentimens. Ne pas pouvoir réjouir comme on le voudrait ceux qu’on aime, ces aimables enfances qui s’essayent en jouant à la vie, c’est triste, quand on ne croit plus dans la vie qu’à l’enfance et à ce bonheur si court qu’il faut au moins procurer !

D’ici à quatre jours, je serai un peu mieux à cet égard, et j’oserai aller vers les vôtres : je voudrais donner à la petite Thérèse un tout petit manchon. Dites-moi si elle en a un. Je sais où trouver le mien qui est déjà tout choisi de l’œil. Seulement je ne voudrais pas qu’il fît double emploi.

Olivier m’a envoyé pour étrennes un charmant volume dont j’ai lu des pièces avec larmes : Et in Arcadia ego ! Quels purs et profonds souvenirs ! et que de morts déjà, desquels on voudrait être resté digne pour au moins espérer de les rejoindre !

Je suis à vous et à lui, chère Madame, de tout mon cœur.


1848


Ce 17 avril 1848.

Cher ami,

Il y a encore de la poésie dans les choses, imaginez-vous qu’hier en vous quittant après être allé faire une petite visite près de la place de la Bastille, je rabattais du côté de l’Hôtel de Ville, oubliant que le passage devait être encombré. Après avoir essayé de pousser jusqu’au pont d’Arcole et avoir perdu une demi-heure dans la foule, vers six heures un quart, je rebroussai du côté de l’église Saint-Gervais pour tourner derrière l’Hôtel de Ville et arriver chez moi par ce circuit. Je pris une ruelle qui longe la nef et le chevet de Saint-Gervais : deux hommes faisaient comme moi et marchaient devant moi. L’un d’eux se retourne, c’était Lamartine. Il sortait de l’Hôtel de Ville par une petite porte, et se dérobait à son triomphe pour rentrer chez lui et rassurer sa femme. Je l’ai conduit jusqu’à une place de voitures près de l’Imprimerie royale. Dans ces cinq minutes je lui ai dit à brûle-pourpoint tout ce qu’on pouvait de plus énergique sur la situation, la nécessité de nous en tirer, de prendre sur soi, et