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qu’on aurait une force encore plus grande qu’on ne pouvait soupçonner, en faisant appela la population sur ce point d’ordre et de vraie liberté. Je vous conterai ce qu’il m’a dit, de très significatif. Il était au reste dans un grand contentement de cette manifestation qui passait ses espérances.

Voilà de ces hasards, qui font sourire et rêver. Echappera une foule immense pour rencontrer à deux pas de là seul à seul dans une ruelle l’homme que toute cette foule défend et va chercher[1].

Voici le passage de la lettre de mon ami de Troyes.

Voici une petite note à tout hasard pour M. Clément ; il peut et vous pouvez me rendre là le plus signalé et le plus délicat service[2].

A vous, chers amis, de cœur.

Soyez assez bon pour adresser le plus tôt que vous pourrez cette petite note à M. Clément, cher Olivier.


Le 29 juin 1848.

Chère Madame,

Dès que vous le pourrez, tranquillisez-moi sur vous et les vôtres durant ces horribles heures ? Comment est Olivier ? Comment êtes-vous ? Comment votre place a-t-elle été respectée ? Et M. Ruchet qui est sous les armes ?

J’ai bien percé les espaces par la pensée pour être avec vous : c’est là une triste adoption que Paris a eu à vous offrir.

A vous de cœur.

  1. Sainte-Beuve a raconté plus tard tout au long cette scène de sa rencontre avec Lamartine, mais en la défigurant quelque peu. Si nous voulons avoir la vraie version de cet incident, nous n’avons qu’à nous reporter à la Revue Suisse où Olivier le rapporta d’après le récit que lui en avait fait Sainte-Beuve le surlendemain. « Dans ce jour, écrivait Olivier, Lamartine avait devant lui, comme il l’a dit dans une lettre rendue politique, une mer de feu et de fer ; bien plus (et ce détail nous vient d’une personne qui le tenait de lui-même), il avait sur sa poitrine les sabres et les piques d’hommes furieux. Il les calme, il les apaise, il les gagne, il en est vainqueur. Et alors ces mêmes hommes qui, s’il n’avait pas triomphé de leur aveugle emportement, l’auraient peut-être assassiné, se sentent pris d’un tel amour pour lui qu’ils l’entourent, le pressent, le serrent dans leurs bras, lui baisent la figure et les mains ; quelques-uns même, ajouta Lamartine, me mordaient. »
  2. Cette note, relative à la liste des fonds secrets où le nom de Sainte-Beuve figurait pour la somme dérisoire de 100 francs entre M. Eugène Veuillot et Charles Maurice, a été publiée dans le tome Ier de la Correspondance de Sainte-Beuve, p. 161.
    M. Charles Clément était alors à Londres, où il voyait l’ancien ministre de l’Intérieur, M. Duchâtel, sous la gestion de qui l’erreur dont se plaignait si justement Sainte-Beuve avait été commise.