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jusqu’aux limites de la Hollande. C’est donc une frontière, élastique, mouvante, que l’on se réserve, suivant les circonstances, d’étendre ou de restreindre, et que Metternich et les alliés n’auront garde de définir précisément avant de se sentir maîtres de la tracer selon leurs convenances. On verra, par la suite, combien d’interprétations recevra cette expression de « bornes naturelles » entre le Rhin, les Alpes et les Pyrénées, destinée à allécher les Français, à gagner, en France, l’opinion à la paix de « l’Europe » et qui n’a été, de décembre 1812 à décembre 1813, que le voile d’une combinaison très insidieuse des alliés, la cause d’une méprise très décevante des Français.

Metternich prévoyait justement que Napoléon ne consentirait jamais à une paix de ce genre, fût-ce la paix de Lunéville, tant qu’il aurait une armée à risquer. Cette paix autrichienne, avec la France refoulée et rognée, ne se comprenait qu’avec une régence de Marie-Louise, une tutelle de l’empereur François II, et c’eût été un coup de maître. Metternich y pensait déjà, il y pensa longtemps, et ses motifs sont les mêmes que ceux qui portaient, dans le même temps, l’empereur Alexandre à proposer Bernadotte comme successeur de Napoléon : une France réduite à l’état de Pologne, avec un lieutenant général du Tsar ou de l’empereur d’Autriche. Ces projets supposaient la mort ou la déchéance de Napoléon ; les hasards de la guerre pouvaient amener la mort, les conséquences de la guerre pouvaient amener la déchéance.

Le « rêve politique » parut un jour sur le point de se réaliser. Le 12 décembre, le bruit se répandit de la catastrophe totale de la Grande Armée et de la fuite de Napoléon. L’ambassadeur de France, Otto, écrit le 16 décembre que Metternich « s’est oublié jusqu’à dire que si l’Autriche prenait un autre parti, elle verrait, en peu de temps, plus de cinquante millions d’hommes de son côté. Suivant lui, toute l’Allemagne, toute l’Italie se déclareraient pour elle… On fait les plus grands efforts pour gagner l’Autriche, on offre l’Italie, les provinces illyriennes, la suprématie de l’Allemagne, enfin le rétablissement de l’ancienne splendeur et la couronne impériale. » Metternich, à l’approche des enchères probables, posait sa mise à prix.

Il se trouvait loin de compte avec Napoléon. Une lettre de lui, datée de Dresde, le 14 décembre, arriva peu de jours après, n’offrant rien et réclamant au contraire le doublement du corps