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conclure que c’est en Extrême-Orient et sur les bords du Pacifique que s’élabore l’avenir de l’humanité et que la destinée fait grandir les nations qu’elle appellera à leur tour à tenir le flambeau de la vie.

Quel sera cet avenir et quel peuple y tiendra le premier rôle, l’heure trouble des grandes batailles n’est pas propice pour le prédire. Mais, il est un fait que nous pouvons constater : les conflits qui agitent l’Extrême-Orient, quels qu’en soient les apparens motifs ou les causes immédiates, ne sont en réalité que des épisodes de la lutte pour la suprématie de la Chine. C’est elle, avec ses millions d’habitans, avec ses immenses ressources, avec ses mines vierges et ses énergies inemployées, qui, d’Europe et d’Amérique, attire les voyageurs, les négocians et les soldats ; c’est autour d’elle que les colonies européennes se sont installés ; accrochées à ses flancs, elles s’y cramponnent avec l’énergie d’un appétit en éveil. L’Empire du Milieu justifie plus que jamais son nom ; il est devenu le pivot de la politique en Extrême-Orient ; ses richesses constituent un pôle d’attraction vers lequel les peuples modernes, enfiévrés de commerce, tourmentés du besoin de vendre, tournent leurs regards et leur activité. « La lutte pour le Pacifique » est en réalité une lutte pour la Chine, car, si l’immense solitude du Grand Océan s’anime, c’est que les peuples le traversent pour s’approcher du marché gigantesque qui s’ouvre à leur négoce. Qui, des Russes ou des Japonais, sera le directeur et l’éducateur de l’Empire du Milieu Jans son évolution nécessaire ; qui le guidera dans sa métamorphose ; qui pénétrera sur ses marchés et mettra en valeur ses richesses ? Sera-ce le Japonais, asiatique et « jaune, » ou bien sera-ce le Russe, à demi européen et à demi mongol, c’est le problème que vont résoudre dans le conflit actuel les armées et les flottes. Pour les Japonais et pour les Russes, la Mandchourie, la Corée, Port-Arthur, le chemin de fer, ont sans doute leur valeur et leur importance intrinsèques, mais leur possession ne vaudrait pas à elle seule les horreurs d’une longue et cruelle guerre ; si on se les dispute avec tant d’acharnement, c’est parce qu’ils sont les avenues de la Chine, qu’ils permettent à qui les occupe de commercer avec elle et de la dominer. La Mandchourie et la Corée sont le champ de bataille, mais la Chine est l’enjeu.

Ainsi s’explique que le conflit actuel suscite dans le monde