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principe de l’intégrité de l’Empire chinois, qui a été l’origine des troubles de 1900 et de la guerre de 1904 ; c’est, au contraire, l’abandon de cette politique et l’oubli des principes qui l’avaient inspirée. Ce que les Japonais n’ont pu ni oublier, ni pardonner, c’est bien moins d’avoir été arrêtés dans leur marche victorieuse par l’intervention européenne que d’avoir vu ce même Port-Arthur et cette même Mandchourie, qu’ils s’étaient résignés à évacuer, tomber entre les mains des Russes qui, sous prétexte d’intégrité de la Chine, leur en avaient imposé l’abandon. Les Russes n’ont pas fait la guerre à l’Allemagne pour venger leur déconvenue de 1879 ; mais que serait-il arrivé si, deux ans après le Congrès de Berlin, les Allemands avaient eux-mêmes occupé Constantinople ? Sans doute, dès 1895, les Japonais, dans le programme de leurs nouveaux armemens, prévirent l’éventualité d’une guerre avec la Russie et s’y préparèrent ; mais qui dit armemens ne dit pas nécessairement conflit, et l’intervention de 1895 ne portait pas en elle, comme une conséquence fatale, la guerre de 1904. — Avant d’en montrer la déviation, arrêtons-nous un instant sur les avantages et l’opportunité de cette politique de 1895.

L’intervention des Russes pour sauvegarder l’intégrité de l’Empire du Milieu et arrêter l’invasion japonaise sur la route de Pékin, n’était pas un acte isolé et sans précédens, mais l’aboutissement naturel d’une politique conforme à leurs méthodes aussi bien qu’à leurs intérêts. Comment la Russie, grâce à ses affinités asiatiques, a depuis longtemps réussi à faire du commerce en Chine et à y exercer une influence politique sans éveiller les défiances des Célestes, qui ne considèrent pas ces voisins continentaux du même œil que les « barbares de la mer, » c’est un point sur lequel, l’ayant d’ailleurs traité ici même, nous n’insisterons pas davantage. Dans leurs relations avec la Chine, les Russes, au rebours des Occidentaux, dont les procédés violens ne pouvaient manquer de blesser le sentiment national, s’étaient toujours gardés de faire appel à la force. Déjà, en 1860, à Pékin, Ignatief, avec une poignée de Cosaques, avait su prendre une attitude amicale et presque protectrice qui lui avait valu, sur l’Amour, des concessions plus avantageuses que tout ce que lord Elgin et le baron Gros, appuyés par toute une armée, avaient pu obtenir ; en 1881, le Tsar avait, par un traité, rendu à la Chine Kouldja et la vallée de l’Ili qu’il occupait depuis la