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économique : son ressort essentiel était la Banque russo-chinoise, qui, elle-même, subventionnait les grandes entreprises de travaux publics, et spécialement le chemin de fer de l’Est Chinois, qui devait continuer le Transsibérien et amener finalement les wagons russes à Pékin. En même temps, le prince Oukhtomsky traçait le programme des négociations et des démarches qui devaient mettre le Tsar eu relations directes avec le Dalaï-lama de Lhassa et les chefs de la religion bouddhiste, donnant ainsi à la Russie un incomparable instrument d’influence non seulement sur les populations mongoles, mais sur les provinces chinoises du Nord et sur la dynastie elle-même. Politique économique, politique religieuse, rendues possibles par une entente avec la dynastie, tel était le programme de l’action russe : appliqué avec méthode et sans impatiences, il eût mis la Russie en état, tout en respectant la pleine indépendance de la Chine et l’intégrité de son territoire, de diriger avec prudence et sans danger pour le reste du monde, l’évolution nécessaire qui « moderniserait » l’Empire du Milieu.

Que sans doute il ait existé, dès cette époque, chez certains personnages russes, des arrière-pensées de domination, et l’ambition prématurée de planter le drapeau sur le golfe du Pe-Tchi-Li, rien n’est plus vraisemblable ; mais leurs suggestions n’avaient pas alors l’audience des hommes d’État qui dirigeaient le gouvernement ; ils savaient contenir une ardeur bien naturelle chez ceux qui ne portent pas les responsabilités du pouvoir ; ils avaient la claire vision de toutes les complications et de tous les périls que ne manquerait pas de susciter l’abandon de la politique d’intégrité. Si d’ailleurs les ministres du Tsar avaient oublié les sages principes qui avaient servi de base à l’entente des trois puissances, il eût appartenu à leurs alliés de les leur rappeler et de ne pas leur permettre de violer une règle qu’ils avaient eux-mêmes établie. Déjà, lors de la crise de 1894-1895, nos hommes d’État, nos diplomates et notre amiral avaient exercé, entre le Japon et la Russie, une action pacificatrice et, avec une amitié qui n’excluait pas l’énergie, ils avaient su prévenir l’explosion imminente d’un conflit qui, des deux côtés, trouvait des partisans. Cette attitude convenait à la France : elle grandissait son autorité morale et montrait que, moins directement intéressée que la Russie dans les affaires d’Extrême-Orient. elle savait cependant y garder, à côté de son alliée, un rôle