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diplomatie formée à l’école de Bismarck sut, avec une habileté qui n’était pas exempte d’arrière-pensées, faire miroiter ces avantages tentateurs : tout en paraissant favoriser les grands intérêts russes, l’Allemagne, en réalité, jouait son jeu à elle, puisqu’elle engageait de plus en plus la politique du Tsar en Extrême-Orient, la poussait vers une série de difficultés qu’elle n’était pas sans prévoir et détournait, pour de longues années, de l’Europe centrale et des Balkans, son attention et ses forces. Le traité qui cédait Kiao-Tcheou à bail à l’Allemagne fut signé le 6 mars 1898, celui qui cédait Port-Arthur et Talien-Ouan à bail à la Russie le fut le 27. Le lendemain les troupes russes occupaient la ville et les forts.

Ainsi la Russie s’établissait en maîtresse dans cette péninsule du Liao-Toung, dont, sous couleur de sauvegarder l’intégrité de l’Empire du Milieu, elle avait exigé des Japonais l’évacuation ; bien plus, au cours des négociations de 1895, les représentans du Mikado avaient demandé à Li-Hung-Chang d’insérer, dans le traité de Simonosaki, un article par lequel la Chine s’engagerait à ne jamais céder Port-Arthur à une autre puissance quelle qu’elle fût, et c’est à l’instigation des diplomates russes que le vieux Li avait refusé, alléguant l’inutilité d’une pareille clause et la vanité d’une telle crainte. Et maintenant, c’était la Russie elle-même, poussée, il est vrai, par l’exemple de l’Allemagne, qui rompait à son profit l’intégrité de l’empire chinois ! Sans doute elle représentait à Pékin que, si elle s’établissait dans le Liao-Toung, c’était pour être à portée de secourir en cas de besoin la capitale et la dynastie contre toute révolte ou toute tentative d’un coup de force analogue à celui de Kiao-Tcheou ; « la face » était ainsi sauvée vis-à-vis de la Chine ; mais la réalité des faits parlait plus haut que la subtilité des formules : le pavillon russe flottait à Port-Arthur et toutes les puissances se jetaient maintenant sur l’Empire du Milieu comme sur une proie à dépecer. Les Anglais exigeaient et obtenaient la cession à bail de Weï-Hai-Weï ; l’amiral lord Charles Beresford parcourait les provinces du Yang-Tse, dénombrant les forces et supputant les ressources des diverses contrées, et écrivait The break-up of China, où le partage de la Chine était envisagé comme une éventualité prochaine. Chaque grand État jetait son dévolu sur la province qui semblait le mieux convenir à ses. appétits et réclamait une de ces étranges « déclarations