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Les décrets de réforme furent rapportés ; Kang-Yu-Wei, condamné à mort, n’échappa qu’en se réfugiant sur un bateau anglais ; plusieurs de ses partisans furent exécutés. Le marquis Ito, déçu dans ses espérances, quitta précipitamment Pékin.

Le coup d’État de l’Impératrice prenait ainsi l’aspect d’une nouvelle victoire de l’influence russe ; la tentative de « japonisation » de la Chine échouait et l’énergique souveraine, obligée de chercher un appui pour affermir son gouvernement, se tournait tout naturellement vers la puissance qui s’était, plusieurs fois déjà, montrée la protectrice de la Chine menacée, vers la Russie. Ainsi, malgré les fautes commises, ce nouveau triomphe de la méthode de bonne entente et de collaboration entre l’empire du Tsar et celui du Fils du Ciel semblait faire oublier l’abandon du principe d’intégrité. Mais, en politique, il n’est pas de faute qui ne se paie ; les bons rapports du gouvernement de l’Impératrice avec la diplomatie russe ne devaient pas suffire à prévenir les deux graves périls dont l’occupation de Kiao-Tcheou et ses suites avaient engendré le germe : d’un côté le mouvement « boxeur » se préparait dans toute la Chine du Nord ; de l’autre des trésors de rancune et de haine s’amassaient au Japon contre les maîtres de Port-Arthur.


III

Dans la lutte dramatique qui se livre autour de la Chine, à cause d’elle, mais sans elle, voici maintenant que va intervenir un élément nouveau et inattendu : la Chine elle-même. Jusqu’alors passive et à peine consciente, elle réagit à son tour contre la pénétration étrangère ; enfin, réveillée par les brutalités et les fautes de tact des Européens qui assiègent de toutes parts ses richesses, elle a, pour la première fois, un soubresaut convulsif pour jeter bas ces parasites. Ce n’est plus, cette fois, à la Chine officielle, à la dynastie, aux mandarins, aux lettrés, que les étrangers vont avoir affaire, mais à la foule anonyme, à la masse populaire soulevée par un vent de révolution. Il en résulte une perturbation profonde dans le cours normal de la politique des grandes puissances en Chine et dans l’équilibre des influences rivales ; l’entrée en jeu de cette force énorme et d’autant plus inquiétante qu’elle est plus mystérieuse et qu’elle s’ignore davantage elle-même, produit dans le monde un