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sentiment d’angoisse comparable à celui qui précède l’apparition de l’un de ces phénomènes naturels que nul pouvoir humain ne saurait maîtriser ; toutes les nations suivent avec anxiété le sort de leurs représentans enfermés dans Pékin et la marche lente de l’armée libératrice. Les tragiques événemens de 1900 ont été, pour les méthodes et les procédés de chacune des grandes puissances intéressées en Extrême-Orient, une épreuve décisive, qui a mis en lumière leur efficacité et qui permet de les juger. Sans raconter l’histoire du mouvement Boxeur et de l’intervention des armées coalisées, il est possible, aujourd’hui que l’intérêt dramatique et parfois épique de l’étrange lutte s’est éloigné de nous, de chercher, autant que la complexité des événemens le permet, à établir quelques responsabilités, à préciser quelques résultats, à caractériser les tendances des principaux acteurs.

Quand est née et comment s’est développée la grande société secrète des I-Ho-Kouan (Union de la justice par le poing) ou, pour l’appeler par le nom que l’histoire lui gardera, l’association des Boxeurs, il n’est guère possible de le dire avec précision et ce n’est point notre objet de le rechercher. Ce qui est certain, c’est que l’insurrection des Boxeurs a été un mouvement hostile aux étrangers. Les réformes hâtives et révolutionnaires de Kang-Yu-Wei, que l’opinion populaire attribuait, non sans raison, à des influences extérieures, surtout les événemens de Kiao-Tcheou, l’entrée des missionnaires allemands dans la ville sainte de Confucius, la brutale agression des marins et des soldats de l’empereur Guillaume II, enfin la présence d’Européens et de Japonais de plus en plus nombreux, sillonnant les routes, étudiant les ressources du pays et y traçant des chemins de fer, telles ont été évidemment les causes qui ont favorisé la propagande des Boxeurs. Mais en même temps qu’il a été « xénophobe, » le mouvement a été, à ses débuts au moins, antidynastique ; il apparaît comme l’une des nombreuses protestations du « nationalisme » chinois contre la dynastie étrangère qui règne à Pékin. Laissé à lui-même, il est à croire qu’il aurait abouti à la déposition des souverains Ta-Tsing, accusés de pactiser avec l’étranger, et à un changement de dynastie. Peut-être les événemens de Kiao Tcheou et les imprudences des Européens ont-ils eu seulement pour résultat de précipiter le mouvement et, en modifiant son caractère et son but, d’en faire l’épouvantable « Jacquerie » qui