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difficultés qui allaient surgir. Accepté sans réserves et immédiatement appliqué, ce programme eût hâté le retour de l’Impératrice ; l’intervention européenne serait apparue avec son vrai caractère, et tant d’incidens déplorables, comme la longue occupation de Pékin et l’incendie du palais impérial, auraient été évités. Mais, soumise aux différens cabinets moins de quinze jours après la délivrance de Pékin, alors que les gouvernemens étaient encore tout animés de l’ardeur de la lutte et que les ministres à Pékin, encore sous le coup de leurs cruelles émotions, étaient tout naturellement portés à se préoccuper plutôt du châtiment immédiat qu’ils réclamaient pour les coupables que d’un avenir plus lointain, la note russe, dans sa rédaction, manquait peut-être un peu de souplesse, ne ménageait pas assez les transitions et ne spécifiait pas assez les précautions à prendre pour éviter le retour des scènes qui venaient à peine de prendre fin ; elle devait surprendre et étonner les hommes d’Etat occidentaux, moins habitués que les Russes à manier les affaires chinoises. En outre, le gouvernement de Saint-Pétersbourg manqua peut-être de persévérance pour faire adopter par les autres cabinets la ligne de conduite qu’il avait si sagement proposée. Résolument présentée et soutenue par les deux gouvernemens « amis et alliés, » la solution préconisée par le comte Lamsdorf aurait rallié l’Europe tâtonnante et hésitante ; c’était à la Russie et à la France qu’en cette circonstance il appartenait d’agir et de prendre l’initiative ; leur passé, leurs intérêts en Extrême-Orient, leur attitude dans la guerre sino-japonaise devaient leur donner, dans le concert des puissances, voix prépondérante ; l’occasion s’offrait à elles de continuer la politique si heureusement inaugurée en 1895, de montrer l’efficacité de leur entente pour obtenir une pacification rapide et complète, et pour préparer un règlement définitif de toutes les graves questions pendantes en Extrême-Orient. M. Delcassé se rangea en principe à la proposition de son collègue, mais il présenta des objections, posa des questions préalables qui retardèrent l’entente et montrèrent que la communauté de vues n’était pas complète. M. Pichon de son côté, souffrant, à peine remis des émotions et des fatigues du siège, suggéra des réflexions et montra peu de goût pour une solution qui ramènerait si vite à Pékin un gouvernement sur la duplicité et sur les responsabilités duquel il insistait volontiers dans ses dépêches.