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l’évacuation de la capitale et il l’a effectuée, pour sa part, aussitôt qu’il l’a pu. Cette armée « jaune, » cette armée non chrétienne, organisée et outillée aussi bien et mieux que les troupes européennes et marchant avec elles contre la Chine anarchique et désorganisée, quelle leçon pour les Chinois, quel encouragement et quelle confirmation pour ceux qui, comme le vice-roi Tcheng-Tche-Tong, rêvent la « japonisation » de la Chine et sa transformation extérieure à l’exemple et sous la direction des Nippons ! Ce parti, déjà nombreux, surtout dans la Chine du Sud, dans les provinces du Si-Kiang et du Yang-Tse, a dû sortir de la crise de 1900 singulièrement renforcé, plein de confiance dans l’avenir, et plus que jamais décidé à ne confier qu’à des Japonais la réorganisation de l’Empire.

Ainsi, une fois calmée la tempête provoquée par les Boxeurs, la Chine se retrouvait elle-même, sans changement apparent dans son organisation et dans sa vie, proie toujours offerte aux ambitions rivales, toujours tentante et toujours désarmée. Mais autour d’elle, les deux rivaux qui cherchent à lui imposer leur suprématie et leur direction avaient grandi, s’étaient rapprochés de ses frontières, et voici que maintenant, éliminant leurs concurrens moins bien placés, ils se mesuraient de l’œil, prêts à en venir aux mains, si l’un d’eux, dans la lutte pour l’hégémonie de la Chine, venait à prendre sur son rival une avance trop marquée.

Pékin délivré, la question des indemnités réglée, les emprunts émis pour le plus grand profit des grandes banques, les puissances européennes se replongèrent dans leurs querelles intérieures et dans leurs rivalités nationales, heureuses d’oublier ce cauchemar d’Extrême-Orient, cette Chine qui, pendant quelques semaines, avait occupé le public en quête de nouvelles, et ce Japon, qui décidément faisait trop parler de lui. En ces années critiques où sa suprématie politique et économique est menacée et semble sur le point de passer à des puissances plus jeunes, l’Europe a manqué d’un homme d’Etat aux vues pénétrantes et aux vastes pensées, capable de dépasser l’étroit horizon des affaires quotidiennes, de voir de loin l’avenir et, comme un Richelieu ou un Bismarck, de lui faire son lit. Gouverner, dit-on, c’est prévoir : l’Europe, durant ces années décisives pour ses destinées futures, n’a pas été gouvernée. Un homme cependant vint, de cet Extrême-Orient si agité, pour tenter de secouer