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mais la Chambre a refusé d’accomplir le sien. Placée entre les propositions de la commission, qui faisaient équitablement la part de chacun, et l’ordre du jour des gauches, qui donnait l’absolution à tout le monde, sauf aux calomniateurs innomés qui n’avaient pas justifié leurs calomnies, la Chambre n’a pas hésité : elle a voté l’ordre du jour des gauches, et remis par-là le Bloc sur sa base, où il avait paru ébranlé. Quelques membres de la majorité se préoccupaient cependant du sort de M. Lagrave, et ils ont fait un effort timide pour obtenir de M. Combes que l’absolution s’étendit jusqu’à lui. Il en avait besoin moins que personne : ce n’en est pas moins le seul qui ait été sacrifié. Les Chambres n’étaient pas plutôt parties en vacances que M. Lagrave a été destitué de ses fonctions de commissaire général à l’Exposition de Saint-Louis. Son seul crime était d’avoir déposé suivant sa conscience devant la commission d’enquête, et de ne s’être pas trouvé d’accord avec MM. Combes père et fils. M. Combes n’a pas songé un seul instant au trouble que la destitution de M. Lagrave apporterait dans les intérêts de nos exposans à Saint-Louis. Sa rancune personnelle a passé avant tout ; il a frappé la victime qu’il avait choisie. Mais, toujours brave et loyal, il a eu soin d’attendre pour cela le départ des Chambres, fidèle à un exemple que M. Pelletan lui avait déjà donné. C’est une autre manifestation du « fait du prince, » à qui tout est permis. M. Mascuraud lui-même, au nom des intérêts du commerce républicain qu’il a la prétention de représenter, n’a pas cru pouvoir se dispenser de blâmer la révocation de M. Lagrave : autant en emporte le vent ! On annonce, il est vrai, des interpellations pour la rentrée ; mais, dans trois mois, qui songera encore à M. Lagrave, si ce n’est en Amérique ? M. Combes n’aura pas de peine à détourner les esprits sur des sujets plus importans. Les questions religieuses qu’il amorce, sans parler de l’impôt sur le revenu, que la Chambre a mis en tête de son ordre du jour, ne leur laisseront aucun loisir. On ne peut, dès maintenant, penser sans inquiétude à ce que sera la session prochaine. Elle nous emportera tout de suite bien loin de la session qui vient de se clore et d’incidens qui ne se rouvriront pas.


Francis Charmes.
Le Directeur-Gérant,
F. Brunetière.