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l’instabilité de l’homogène ; en second lieu, les parties de ce tout, une fois différenciées, deviennent une cause nouvelle de différenciation, puisque, en conséquence de leurs fonctions différentes, elles réagissent diversement à l’égard des mêmes forces incidentes ; d’où la multiplication des effets. Spencer, en réalité, considère comme un fait la physique énergétique, laquelle est elle-même une simple interprétation des faits et déjà une théorie, une hypothèse. Bien plus, dans cette conception scientifique, telle que nous la trouvons chez Helmhotz, interviennent au moins deux principes et il faut joindre à la loi de la conservation de l’énergie celle de la moindre action, la première, de l’aveu des physiciens, étant impuissante sans la seconde à rendre compte des phénomènes mécaniques. Spencer commence ainsi par opérer sur les hypothèses de la physique une simplification qu’il n’a point justifiée. La raison en est qu’il a précisément méconnu toutes les difficultés en présence desquelles la science se trouve et se trouvera peut-être toujours, soit pour distinguer simplement l’énergie cinétique ou force vive de l’énergie potentielle, soit pour définir l’énergie elle-même. La mécanique recule devant cette définition ; pour elle, connaître une force, c’est en évaluer approximativement les effets, et la seule notion positive qu’elle en puisse avoir, la seule d’ailleurs dont elle ait besoin, c’est celle de mesure. Et il se trouve ainsi que Spencer n’a fait à la science physique que des emprunts ruineux.

Enfin, logiquement, qu’est-ce que ce principe ?

Spencer avoue qu’il dépasse l’expérience, puisque nous n’avons pu expérimenter dans la totalité du « cosmos » comme si c’était un système fermé ou un phénomène isolé. Est-ce donc une notion a priori, une idée qui vienne de l’esprit et qui lui soit nécessaire ? Alors nous voilà rejetés à la philosophie classique, nous retombons dans le formalisme de Kant, dans la catégorie vide, et nous offensons par là, non seulement tout le génie anglais et son empirisme traditionnel, mais l’inspiration même du positivisme spencérien : ce prétendu principe ne peut être que la plus haute des généralisations, le résumé de toutes les expériences humaines. De quel droit donc l’appliquer à la totalité du temps et de l’espace ? L’origine et l’usage de ce principe sont ici en opposition, puisqu’on ne saurait dire à la fois d’une même chose qu’elle vient de l’expérience et qu’elle a dépasse. Si Spencer n’a pas vu cette nouvelle contradiction sur laquelle