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vie même comme des vérités. Ainsi, par l’élimination de la vieille métaphysique, s’étaient trouvées restaurées du même coup la connaissance certaine et la croyance légitime.

Spencer, naturellement, n’avait pas lu Kant, et il ne découvrit pas sans surprise par des articles de critique qu’il avait dit quelquefois la même chose que le philosophe allemand.

Lui aussi, il n’a voulu qu’expliquer pourquoi la science avait pu s’établir aussi solidement sur les ruines de la métaphysique. Car la loi de changement peut rendre compte, non seulement des choses, mais encore de la connaissance que nous avons des choses. Spencer a dressé contre la débilité historique de la science absolue la souveraineté toute nouvelle de la science relative. Au rebours de Kant, et pour aboutir au même résultat, il est parti, non pas de l’esprit, mais de la réalité elle-même, non de la pensée, mais de la vie ; il a trouvé les limites de la science, non pas dans les lois logiques de l’entendement, mais dans les caractères mêmes des phénomènes. Et ainsi, son système, tout en continuant de marquer l’influence kantienne par l’attitude prise à l’égard de la vérité humaine, représente pourtant le plus complet effort qui ait été fait pour constituer à la réflexion moderne son assise véritable, non plus sur la survivance dans l’Allemagne abstraite des formes scolastiques, mais sur l’usage dans l’Angleterre concrète des méthodes précises, sur la prise immédiate des choses.

Spencer empruntera donc ce qu’il appelle « les données de la philosophie » à la filiation empirique dont il est le dernier né. Notre connaissance de l’existence se réduit aux manifestations que nous en saisissons ; la science, au fond, est la conscience, puisque l’élément primitif et exclusif de toute représentation est le phénomène de la perception : les choses n’existent pour moi qu’autant qu’elles m’apparaissent, le monde est ce que je vois. Posons donc comme point de départ de toute philosophie ce fait fondamental qui est « le produit de la conscience élaborant des matériaux d’après les lois de son action normale. »

En d’autres termes, c’est la psychologie qui, comme science particulière, se trouve être chez Spencer la première condition d’une théorie générale de la connaissance : point de vue très nouveau et très précis, si l’on songe que toute philosophie critique a d’abord été inspirée par la logique, par l’analyse du raisonnement.