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produit de la pensée tel qu’il se présente dans les généralisations scientifiques ; déterminons ce que c’est qu’une loi positive, qui constitue tout le savoir de cet esprit. « Quand on dit, remarque Spencer, que l’absorption des liquides à travers l’intestin est un sas de l’action osmotique, que les changemens subis par les alimens pendant la digestion sont semblables aux changemens artificiels qu’on peut produire dans les laboratoires, nous nous considérons comme connaissant quelque chose de la nature de ces phénomènes. » Qu’avons-nous gagné ? Nous sommes partis de faits très particuliers et concrets ; nous les avons rapprochés de faits plus généraux, la digestion, par exemple, rappelant une combinaison chimique : un tel rapprochement s’appelle, dans les sciences, une explication.

Cette explication est-elle une connaissance ? Nullement, elle est une réduction, une régression, une simplification, si l’on veut ; rien de plus. Ainsi, conclut Spencer, « la connaissance des phénomènes des combinaisons chimiques, de la chaleur, de l’électricité, etc., suppose que ces phénomènes ont une raison qui, découverte, nous apparaîtra comme un fait très général, relatif à la constitution de la matière, dont les faits chimiques, thermiques, électriques, ne sont que des manifestations différentes. » Or il est évident que cette régression ne peut être illimitée : outre qu’il faudrait un temps infini pour l’achever, on aboutira toujours à une notion qui, étant la plus générale, ne pourra plus être rapprochée d’aucune autre, ni par conséquent expliquée : le terme nécessaire de nos explications est l’inexplicable, la nature du connaissable démontre la relativité de la connaissance. La science fixe elle-même ses limites.

Et pourtant la nature humaine et l’histoire témoignent également que l’affirmation du relatif implique cette autre croyance qu’il existe un non-relatif. Nous ne pouvons pas plus nous défaire de cette notion de l’absolu ou de « l’inconditionné » que nous ne pouvons parvenir à le déterminer ; il nous échappe avec la même forée qu’il s’impose à nous et nous tente. Dans la célèbre démonstration de la « dialectique transcendantale » Kant établissait l’illégitime nécessité des « idées de la raison. » Spencer proclame pareillement que « l’élément mental dernier est à la fois nécessairement indéfini et nécessairement indestructible. »

Le jeune Herbert, on s’en souvient, avait vécu dans un milieu pieux et divisé où il s’était assez vite affranchi de