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plaisant de l’affaire est que, dans ce moment même, Frédéric-Auguste s’échappait de l’alliance française et négociait, sous-main, avec l’Autriche, une défection déguisée sous l’étiquette de la neutralité et le manteau de l’intervention autrichienne. Mais les alliés de Kalisch n’en savaient rien. Il convenait à Alexandre que les Prussiens s’emparassent de la Saxe, et les Prussiens, toujours empressés au nantissement, ne s’y refusaient pas.

Alexandre pressait l’Autriche. « Au reste, disait-il à Lebzeltern[1], les alliés, se réservant d’agir sur le Nord de l’Allemagne, abandonnent à l’Autriche toutes les cours du Midi. » « L’Empereur laisse carte blanche à l’empereur d’Autriche », écrit Lebzeltern. Rien de mieux fait pour rassurer Metternich. Mais il avait conçu des desseins plus étendus. Il se réservait, par des moyens plus compliqués, un rôle plus important. Si Alexandre prétendait s’ériger en dictateur de la paix, Metternich se flattait d’en être au moins le chancelier ; il ambitionnait même, pour son maître, l’arbitrage suprême que s’arrogeait d’avance la Russie. Il continua donc, imperturbablement, ses cheminemens et ses mines. Le 23 mars, il écrivit à Lebzeltern, proposant un arrangement qui permettrait à l’Autriche de se débarrasser du corps polonais, de Poniatowski, réfugié à Cracovie, fort embarrassant pour l’Autriche et qui ne laissait point aussi, malgré sa faiblesse, de gêner les Russes. Quant au corps auxiliaire de Napoléon : « Vous pourrez, ajoute Metternich, confier sous le sceau du secret à Sa Majesté que nous ferons filer sur-le-champ le corps d’armée qui quitte la rive gauche de la Vistule, en Bohême où il se joindra à l’armée qui, dans ce moment, se forme dans ce royaume. » Une convention, à cet effet, fut signée à Kalisch, le 29 mars, par Lebzeltern et Nesselrode. L’Autriche, encore que sous le masque, avait fait acte de coalisée. Elle se rapprochait en rampant, mais elle se rapprochait par ses mouvemens combinés et par ses intentions annoncées.

Ainsi, dès la fin de mars, les fondemens de la coalition sont posés, les pierres d’attache en place. L’Autriche, pour se déclarer, n’attend que d’être prête ; tout son art consiste, durant cette période, à se dérober aux coups de Napoléon, et à se mettre en valeur auprès des alliés. Metternich employa tout le mois d’avril a ce jeu, très subtil, d’enveloppemens et d’échappemens

  1. Rapport de Lebzeltern, 22-29 mars 1813.