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conjuration avaient place dans l’entre-deux, tous les charmes, tous les talismans, et plusieurs sortes de « poudres, » qui n’étaient pas toujours inoffensives. Les consultations se payaient suivant le rang et la fortune des clientes. A défaut d’argent, on donnait un bijou, ou bien l’on signait un billet, ressource dont il n’est pas besoin de signaler l’imprudence.

L’année où mourut Anne d’Autriche, l’une des devineresses les mieux achalandées de la capitale était la femme d’un bonnetier appelé Antoine Montvoisin, dont la boutique était située sur le pont Marie, le même qui, aujourd’hui encore, relie la rive droite de la Seine avec l’île Saint-Louis. Le pont Marie, comme presque tous ceux du Paris d’alors, portait une double rangée de maisons à boutiques qui en faisaient une rue très animée. Les affaires de Montvoisin n’avaient pourtant pas prospéré. Il avait essayé de plusieurs commerces sans réussir dans aucun. Il avait été mercier, joaillier, et toujours il avait « perdu ses boutiques, » suivant l’expression de sa femme, Catherine Montvoisin, familièrement « la Voisin. » C’est sous ce dernier nom qu’elle est devenue célèbre dans les annales du crime. La Voisin diseuse de bonne aventure est la même que la Voisin l’empoisonneuse.

Au temps du magasin de bonneterie, elle n’avait pas encore éveillé l’attention de la justice, malgré son installation mal sûre du pont Marie, qui l’obligeait à avoir double domicile ou à donner ses rendez-vous chez des compères. Elle gagnait énormément d’argent. Le prix de ses consultations variait d’une pièce de monnaie à plusieurs milliers de livres, ou d’une vieille nippe à un collier de pierres précieuses, et elle faisait encore des bénéfices sur les acolytes des deux sexes qui l’assistaient dans ses œuvres scélérates. On sait par elle-même qu’elle s’était séparée de biens d’avec son mari, toujours malheureux en affaires. Malgré cette précaution, l’argent lui fondait entre les doigts. Il est vrai qu’elle avait des charges, enfans à élever et parens à soutenir. Elle disait : « J’ai dix personnes à nourrir ; » mais elle était économe pour les autres. La Voisin donnait un écu par semaine à sa mère et élevait sa fille en très petite bourgeoise. C’était elle qui dépensait follement, en compagnie de misérables de son espèce.

La position de mari d’empoisonneuse semble avoir été précaire. Antoine Montvoisin était au courant de l’industrie de sa femme, et sa conscience ne lui interdisait pas d’en profiter pour