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France. Saint-Evremond a fait une comédie intitulée Les Opéra. On lit dans la liste des personnages : « — Mlle Crisotine, devenue folle par la lecture des Opéra. — Tirsolet, jeune homme de Lyon, devenu fou par les Opéra comme elle. » Un troisième personnage raconte que l’on ne parle d’autre chose à Paris : « — Les femmes et les jeunes gens savent les Opéra par cœur, et il n’y a presque pas une maison où l’on n’en chante des scènes entières. » Voilà qui nous rapproche de l’Italie.

La mode était partie du Louvre, où le courtisan se hâtait d’imiter le Roi, grand admirateur de Lulli. Il était arrivé à Louis XIV de dire, pendant les répétitions d’Alceste, que, « s’il était à Paris quand on jouerait l’opéra, il irait tous les jours. Ce mot, ajoutait Mme de Sévigné[1], vaudra cent mille francs à Baptiste. » Ce n’était pas affectation de la part du Roi ; il aimait réellement la musique ; on le reconnaît à des signes qui ne trompent point. Louis XIV eut toute sa vie le goût, et plus que le goût, le besoin de celle que l’on fait soi-même, à son heure, à son choix, à sa manière, et que ne remplacent jamais les plus belles exécutions des gens du métier. Adolescent, il jouait de la guitare et tenait sa place dans les ensembles. Devenu homme, il se trouva une bonne voix, et sut s’en servir dans les réunions d’amateurs. On peut même dire qu’il chantait à propos et hors de propos ; le lendemain de la mort de son fils, le grand Dauphin, les dames du palais eurent la surprise d’entendre le Roi chanter des prologues d’opéra. Dans ses toutes dernières années, alors qu’il était devenu « inamusable, » Mme de Maintenon lui organisait de la musique chez elle, et il y prenait toujours plaisir. Un soir qu’elle avait substitué les vêpres aux partitions de Lulli, Louis XIV se laissa faire et psalmodia les vêpres[2]. Pourvu que ce fût de la musique, tous les genres lui étaient bons.

Avec une prédilection, toutefois, pour celui qu’il avait vu naître, qui était déjà si riche en émotions neuves, et que l’on devinait chargé de promesses pour l’avenir. Le Roi avait tout ce qu’il fallait pour en jouir profondément. Le lecteur n’a pas été sans s’apercevoir à ses crises de larmes que Louis XIV était un nerveux, sous les dehors froids et calmes qu’il s’était imposé. En avançant en âge, la disposition aux larmes prit chez lui un

  1. Lettre du 1er décembre 1673.
  2. Introduction, par M. le comte d’Haussonville, aux Souvenirs sur Mme de Maintenon : — Mémoires de Mlle d’Aumale.