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graines, le déplie, et m’y montre seulement, au lieu de pavot ou de réséda, trois ou quatre pierres taillées, un brillant, une brio-lette et des roses, provenant du même diamant brut. Le brillant vaut cinq mille francs, la briolette trois mille, les roses deux ou trois cents francs, et toute une série de chiffres, inscrits sur le paquet, indiquent, pour chacune des pierres, l’origine, le poids, les transformations. Puis, l’employé replie le petit paquet, et le rejette, parmi d’autres, dans le tiroir de l’établi.

Nous montons ensuite aux logemens, placés dans les étages supérieurs, et où les ouvriers trouvent à bon compte, non seulement la salubrité, mais un confort relatif. Le lapidaire qui gagne 95 francs par semaine peut louer dans la maison un logement de quatre pièces pour 300 francs par an. D’autres, dont la semaine est de 70 francs, louent des logemens de trois pièces, pour 300 francs, 280 et 250 francs. Tout cela est petit, mais clair, propre, bien tapissé, sainement et largement aéré. Jolis papiers, bon air, grand jour. Chaque locataire a sa cuisine et ses cabinets, et chaque famille est bien chez elle. Le mobilier, chez quelques-uns, a une tendance bourgeoise. Une vieille femme, dans l’un des logemens, est assise sur un divan, dans une chambre arrangée en petit salon. Elle a l’air d’une vieille Levantine, et le caractère levantin ou étranger reparaît encore ici. Il marque la plupart de ces petits intérieurs, les figures de leurs locataires, et la façon dont ils sont quelquefois ornés. Même à Paris, tout ce monde du diamant porte sensiblement deux signes, celui du Nord et celui de l’Orient. Nous retraversons, en redescendant, les galeries de polissage, et l’employé m’y montre, à son travail, un apprenti dont on peut remarquer le teint mat et pâle. C’est un jeune Arménien dont le père et la mère ont été massacrés dans les derniers massacres, et que le directeur de la taillerie, Arménien lui-même, mais naturalisé Français depuis longtemps, a fait venir de son pays, pris dans ses ateliers, et adopté.


VI

Avant de quitter la maison Eknayan, j’éprouve une curiosité… Le cliveur y est jeune, y semble particulièrement intelligent, et certains caractères de sa physionomie, sa barbe et ses cheveux d’un certain blond, ses yeux d’une certaine forme et d’une