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en vieillissant, ni qu’on ait le droit d’y manquer parce que le monde a marché et que les conditions ambiantes se sont transformées, ni qu’on ait celui de les dénoncer sans tenir aucun compte des intérêts de l’autre contractant. En veut-on une preuve, et veut-on aussi un exemple de la manière dont les traités qui ont vieilli au milieu d’un monde qui a rajeuni, se dénoncent entre deux puissances civilisées ? Nous n’irons pas chercher bien loin : nous trouverons tout cela dans l’arrangement que nous venons de faire avec l’Angleterre, et dont l’objet principal est précisément d’en modifier plusieurs autres.

Presque sur tous les points, en Égypte, au Maroc, les deux pays se sont fait des concessions réciproques sur des droits antérieurs qu’ils n’ont contestés ni l’un ni l’autre. Mais c’est surtout à Terre-Neuve que se manifeste avec évidence le respect qu’une nation soucieuse de ses engagemens ne cesse pas de leur conserver, même lorsque de longues années se sont écoulées, que le temps a fait son œuvre, et que les conditions dans lesquelles le contrat a été conclu sont complètement modifiées. Nos droits de pêche à Terre-Neuve datent du traité d’Utrecht en 1713, à la fin du règne de Louis XIV. L’île était presque déserte alors, et l’exercice de notre privilège ne causait de préjudice, ni même de gêne à personne. On sait combien tout cela est aujourd’hui changé Nos droits sur le French Shore, il faut bien le dire, ont contre eux la nature des choses, et leur maintien intégral entraverait le développement d’une colonie intéressante, laborieuse, pleine d’avenir. Le parlement terre-neuvien ne cessait pas de protester contre eux, et il n’y a pas un parlement au monde qui n’eût fait la même chose à sa place. Le gouvernement anglais a-t-il jamais ou l’idée de nous dire : — « Le traité d’Utrecht est vieux ; vos droits sont périmés : vous en avez d’ailleurs joui assez longtemps ?  » — Il s’est bien gardé de tenir ce langage. Quelles que fussent ses préoccupations, il a toujours maintenu la colonie de Terre-Neuve dans son devoir strict à notre égard, et c’est une justice à lui rendre qu’il a lui-même rempli son devoir tout entier. Mais il a négocié à diverses reprises avec nous pour nous amener à renoncer, moyennant compensations, à nos titres sur le French Shore, et, après plusieurs tentatives avortées, il a fini par aboutir. Nous nous sommes mis d’accord avec lui sur les compensations qu’il devait nous donner pour l’abandon de nos droits, ou seulement de quelques-uns de ces droits, et c’est ainsi qu’il a obtenu notre consentement. Oui, nous le répétons, il n’y a pas de traités éternels ; mais, si on veut savoir comment un traité prend fin, on vient de le voir.